Apache

Ce qui est pénible avec les musiciens de studio, c’est qu’ils sont souvent anonymes. Enfin, c’est tout comme : on les remet pas tout à fait. Et quand on en tient un, on sait plus trop ce qu’il a commis, alors on name-droppe à la truelle. On voit pas mieux mais on situe, un peu.

Jim Gordon, donc. Facile, "Layla", c’est lui, bravo. Lui, le drummer de Derek and the Dominos, donc ; lui qui a pondu l’émérite ritournelle au piano, piquée à sa meuf Rita Coolidge qu’il tabassait par ailleurs. Elle le quitta, s’en sortit mieux que lui, réenregistra sa création avec Booker T. Jones pour se venger, vengea pas grand-chose. Lui aussi qu’on retrouve avec Delaney & Bonnie, sur All Things Must Pass, aux côtés de Crosby, Stills & Nash, en renfort de Steely Dan, dans quelques titres de Pet Sounds, derrière les Byrds, en section zappaïenne avec Jack Bruce, and so forth. On avait prévenu : les musiciens de studio, ça fait renverser du patronyme partout.

Bon, lancé par Hal "Wrecking Crew" Blaine, il était de toutes les sessions, West and East Coasts, le Jim, aussi, tellement qu’il était bon. Ce qui est pénible avec les musiciens de studio, c’est qu’on ne comprend pas toujours pourquoi ils étaient bons. Rien de jamais flamboyant chez Jim Gordon, vous pouvez chercher. Mais il a frappé là et quand il fallait : son beat tribal sur "Apache", la version du Incredible Bongo Band de 1973, oubliez les Shadows, a été pompée par tout le hip-hop qui y a trouvé son assise baptismale. Afrika Bambaataa, L.L. Cool J., Sugarhill Gang et un petit milliard d’autres nient pas.

" Layla", on disait, donc. On a parlé de malédiction, rapport au dérapage motorisé fatal de Duane et à la crise de foie létale de Carl. C’est Jim qui, cramé depuis longtemps à la booze et la came, hanté par des voix, clôt la série (vous faut un pantone pour la couleur ?), le 3 juin 1983 en pilonnant à coups de marteau Osa Marie, sa mère de 72 ans, avant de la larder de coups de couteau. Seize ans de prison, parole denied since then, prochaine tentative en 2021, why not. Mais Gordon, au fait de son délire schizo, se sait dangereux, est pas trop motivé par un bon de sortie. Un confinement responsable.