Black Sabbath: Eternel Idol
Grisante valse de chanteurs que celle de Black Sabbath tentant de dissiper désespérément la légende de son premier et fabuleux frontman fou de Birmingham, l'impayable et pas encore mtvisé Ozzy Osbourne... Lancé à la poursuite de son propre mythe, le groupe jeta d'abord à ses fans affamés le gnome hurleur Ronnie James Dio qui, débarrassé un trop bref instant de ses elfes et dragons de carton-pâte, parvient à convaincre jusqu'à certains fidèles de la première époque à la faveur, il est vrai, d'une poignée d'albums où le talent de Iommi et Butler, intact, s'affichait dans toute sa gloire... Également de passage dans le groupe, l'improbable Ian Gillan et sa contribution involontaire au scénario de Spinal Tap, le transparent Tony Martin et, fantasme hardeux un temps concevable, Môsieur Judas Priest, Rob Halford lui-même... Mais, c'est notre sujet du jour, le monstrueux hybride birminghamien entre le Sab' et Judas Priest ne fut pas, on peut l'avouer maintenant, à la hauteur des attentes des fans, le pauvre Halford qui s'y est repris à deux fois à douze ans d'intervalle n'étant décidément pas fait pour le groupe... On vérifie ?
On replante le décor : 1992, le nouvel album du Sab' Dehumanizer, pas transcendant mais pas catastrophique non plus, tente de renouer avec les hauteurs de Mob Rules ; au chant, Dio et à ses côtés les infatigables Tony Iommi et Geezer Butler... Une tournée consacre le retour du line-up le plus excitant du groupe depuis un paquet d'années mais, celle-ci achevée, les musiciens se voient aimablement convoqués par leur ex-leader, Ozzy himself, qui effectue alors ses adieux solo à la scène... Soucieux de terminer en beauté, Ozzy tient à ce que ses potes soient présents mais... en première partie.
Une célébration un peu retorse mais dont ni Iommi ni Butler ne s'offusquèrent, qui accueillirent d'ailleurs la nouvelle avec enthousiasme - ce fut surtout Dio, nouveau venu depuis douze ans quand même, qui prit mal la chose et en fit un incident diplomatique, arguant non sans raison du fait que le Sab' n'avait à faire la première partie de personne, et sûrement pas celle de son ex-chanteur... Du coup, le beugleur vertically-challenged curieusement pas motivé pour une humiliation publique se fait porter pâle pour la petite fête du matois Ozzy...
Dans l'urgence, on pense alors à Tony Martin mais, celui-ci étant en Europe à ce moment, un sombre problème de visa l'empêchait de revenir en temps et en heure aux États-Unis où le show devait se dérouler... Gambergeade intense dans les rangs du Sab', comme on l'imagine et soudain l'illumination, se souvient Geezer : "We were really forced to start thinking of someone from outside of the Sabbath family, so to speak. I think Rob's name was the first to come up and after a little bit of thought we just said, 'Yeah, it's obvious isn't it?' So Rob Halford offered to try. He's from Birmingham like us, so we had three hours to rehearse in Phoenix and it sounded great. It was done for fun. We didn't care if people - wait a minute - we did care if people threw bottles, but it was a good time."
La réaction du principal intéressé ne se fait pas attendre : "Jamming with Black Sabbath was a dream come true for me! Oh God, I'm the world's biggest Sabbath fan! I was like a kid in a candy store (NDLR : influence Cadbury, chocolaterie également de Birmingham?). I was jumping around the house like, 'I'm gonna sing with Sabbath! I'm gonna sing with Sabbath!'" Pas beaucoup de temps - c'est peu de le dire - pour l'unique répèt' donc on s'enferme illico dans les studios Vintage Sound et après des retrouvailles vite expédiées - "Hey, what's going on? Great to be here, etc." - Iommi attaque le riff de "Paranoid" et là Halford se sent tout petit, impossible de reculer... Butler nous le vend bien, pourtant : "We all knew Rob has an amazing voice. With Black Sabbath we have always had singers with great character, but Rob has that as well as a range that means he can sing pretty much anything we have ever done easily. ... When we got hold of him it turns out that he really didn't need to learn too much because he had all the albums already. The guy lives and breathes heavy metal"...
Bon, tout ça est très généreux mais, dans les faits, ça se passe quand même un peu moins bien que prévu... Nous voilà donc, enfin au Costa Mesa, Pacific Amphitheater en ces 14 et 15 novembre 1992... Le père Halford rame pas mal et enchaîne les bévues à chant décalé, faux départs qui lui valent un regard noir de Iommi et même, si on en croit le chanteur, un coup de pied, etc. - certes excusables mais l'ensemble laisse sur sa faim ... Halford est le dernier à contester cette version des faits d'ailleurs : lui-même raconte que, le premier soir, quand les musiciens, habillés de noir, sur fond noir - et plongés dans le noir - attendent la fin de la musique d'intro pour rentrer sur scène, il prend conscience avec horreur que la pénombre rend impossible toute évaluation de la présence ou non de ses potes : sont-ils déjà sur scène ? Quand rentrer ? Allez, il se lance... et se retrouve seul devant les spectateurs, selon ses propres mots, "comme un con". Impossible de tourner les talons à oui, le ridicule tue, même en heavy-metal...
Halford prend la suite : "This huge crowd was cheering and there I was just thinking to myself that I had just made a complete prick of myself. I couldn't do anything, so I just stood there taking some deep breaths to calm myself down. I was rooted to the spot, I couldn't turn around and go back because that would look ridiculous. I can remember thinking to myself, 'Well these Black Sabbath fans are now going to think I must really love myself for having put on such a grand entrance!' I was waiting for what seemed like an eternity. My nerves were right on the edge, but actually, although it was a blunker on my part, it actually looked pretty cool at the end of the day, like part of the show. In reality, what the audience thought was part of the show was a big mistake."
La moindre des ironies n'est d'ailleurs pas, pour certaines mauvaises langues, qu'Halford, chaussé de ses légendaires bottes de cuir et par ailleurs pas vraiment amateur de filles comme on le sait, ait daigné reprendre la charge anti-gay "Fairies Wear Boots", sans sourciller... Dans la foulée, concert moyen ou pas, on envisage sérieusement une formation mais là, l'explication de Halford se fait confuse : "Tony and I discussed it a few times but at the time, both our worlds were in chaos and turmoil, so we never got the chance. Possibly we should have both pursued it more seriously..."
Et pourtant, le sort semble en avoir décidé autrement puisque, douze ans plus tard, le Sab' se rappelle au bon souvenir de Rob qui avait enterré dignement l'affaire... Un concert prévu à Camden le jeudi 26 août 2004, Ozzy a une bronchite en plein mois d'août - oui - et c'est sa femme Sharon, toujours prompte à voler au secours de son épave de mari, qui résume la situation : "So, our options were: 1. Have Black Sabbath not to perform at all and inform the crowd at 4:00 p.m. in the afternoon, which might have lead to a riot. or 2. Ask one of the legends of the genre, Rob Halford, if he would step in for Ozzy that evening so that people wouldn't leave feeling disappointed not seeing Black Sabbath perform at all."
...Devant tant de bon sens, Halford, toujours plus grand fan autoproclamé du groupe rempila mais, au risque d'accabler le bonhomme, se paya le luxe de bien foirer "Paranoid", titre cryptique et complexe du Sab' comme on le sait... Ce qui n'empêcha pas les fans de Judas Priest et du Sab' de fantasmer à nouveau, depuis, sur une formation jugée explosive mais là, c'est Halford qui, dégrisé, met le holà : "Me and Tony talked about it. It would have been a dream come true, but looking back, I think those two shows are enough. I have the bootleg video and CD and it freaks me out to listen to it."
Bonus : beaucoup de choses traînent sur YouTube, alors avant que ça ne ferme, un échantillon de vautre, en toute indulgence...