Eric Clapton: I Shot The Sheriff
Du culte film punko-skaphile Rude Boy, sorti en 1980, on se souvient peut-être de la trépidante performance de The Clash à Hyde Park dans le cadre d'un énorme concert organisé, deux ans plus tôt, par le mouvement "Rock Against Racism" contre l'influence grandissante du fangeux National Front... C'est d'ailleurs à un habitué des concerts de charité, Eric Clapton lui-même, qu'on doit la tenue de cette légendaire soirée, mais pas pour les raisons que l'on croit...
Tout part d'un autre concert donné, celui-là, par God himself à Birmingham, le 5 août 1976. Pourtant peu habitué aux coups d'éclat, le guitariste, enfoncé dans la drogue depuis des années et, ce soir-là, copieusement bourré pour varier les plaisirs, harangue la salle dès la fin de son premier titre : "Est-ce que nous avons des étrangers dans le public ce soir ? Si oui, levez la main, s'il vous-plaît..." Déplorant alors que l'Angleterre soit devenue "overcrowded", le guitariste enjoint son public à voter pour Enoch Powell, fort douteux Conservateur aux idées populistes notoires, pour empêcher que la Grande-Bretagne ne devienne "a black colony". Ouch...
Rappelons, pour les plus jeunes, que Enoch Powell s'était distingué en 1968 avec un discours xénophobe enflammé, aux accents bibliques, connu, depuis, comme le "River of Blood Speech", et qui contenait notamment ce passage grinçant : "Il est souhaitable que s'organise un flux régulier de rapatriement volontaire pour les individus qui ne veulent pas ou ne peuvent pas s'intégrer (...). Ce pays ne sera plus digne d'être habité par nos enfants. Comme les Romains, il me semble voir le Tibre se couvrir de sang...". Ambiance.
C'est, du reste, également à cette époque qu'un Bowie sévèrement poudré défila en Mercedes vintage devant la Victoria Station en effectuant le salut nazi et en déclarant, en manière de justification, que "Britain could benefit from a fascist leader"... Si le père de Ziggy a nié, depuis, l'existence même de ce triste épisode (ce qui n'empêcha pas l'intéressé de glisser un "to be insulted by these fascists is so degrading" dans son "It's No Game (Pt. 1)" en 1980), Clapton, lui, a toujours assumé le sien et a refusé de justifier des propos... Il prit soin néanmoins de jouer avec un backing-band exclusivement noir pour son concert suivant mais il s'en fut de dix longues années avant qu'il ne rejoue dans la capitale...
Les déclarations du guitariste soulevèrent, on l'imagine, une vague d'indignation dans la presse anglaise. Le photographe Red Saunders publia alors dans toute la presse musicale cette réponse à Clapton qui donna l'idée du concert à Hyde Park et précipita la formation de Rock Against The Racism : "When we read about Eric Clapton's Birmingham concert when he urged support for Enoch Powell, we nearly puked. Come on Eric... Own up. Half your music is black. You're rock music's biggest colonist... We want to organise a rank and file movement against the racist poison music... P. S. Who shot the Sheriff, Eric? It sure as hell wasn't you!"
Coda : par un curieux concours de circonstances, alors que la polémique battait son plein, les pressages japonais des albums du guitariste comportaient une savoureuse coquille - Eric Crapton - involontaire évidemment...