Faith No More: The Gentle Art Of Making Enemies
"The funniest and scariest moment in rock" : allez, si on était racoleurs, on vous la survendrait comme ça, notre nouvelle livraison... La formule, péremptoire et contestable, est pourtant authentique - et se rapportant à rien moins qu'à certaine frasque du sublime Mike Patton, tonitruant trublion de feu Faith No More et porte-drapeau d'un ébouriffant dadaïsme rock protéiforme, elle donne quand même envie d'en savoir plus... À l'examen, comme souvent, l'affaire verse dans cette potacherie scatologique complaisante sans laquelle le rock, que sa quête impulsive d'une adolescence perdue fourvoie parfois méchamment, perdrait, disons, de sa saveur mais on vous prévient quand même : Patton, artiste au sens le plus rare du terme, ne fait pas dans la dentelle - il n'est pourtant pas dit, que par un paradoxe qui n'étonnera que les Boileau de la "grande musique", le chanteur n'en sorte pas, curieusement, comme grandi... Intro chantilly terminée.
Insaisissable Mike Patton : en rupture de ban avec le regretté Faith No More, formation audacieuse pourtant trop confinée pour contenir sa débauche créative, le chanteur d'Eureka, Californie, empile depuis les combos expérimentaux - Fantomas, Peeping Tom, Mr Bungle, Tomahawk, Lovage etc. - avec une fécondité sidérante et un bonheur incontestable... Brassant à la grosse louche de son génie brut ska, punk, thrash, trip hop, grindcore, funk, easy listening et électronique, convoquant indifféremment Dave Lombardo, Massive Attack ou... Norah Jones, Patton impose patiemment son intarissable inspiration à un public de connaisseurs, à force de vocalises tour à tour liquoreuses, grognantes, éthyliques, polyphoniques, mezzo vocesques et stridentes...
Génie ? Bah oui, le mot est lâché et on renvoie les sceptiques à de plus attentives écoutes de l'abondante et éclectique discographie du bonhomme, sur laquelle plane l'ombre improbable d'un Frank Zappa et qu'éclairent peut-être, de Powells à The Director's Cut, en passant par ses propres prestations d'acteur, des hommages répétés au cinéma... Soucieux de ne pas être étiqueté "arty" et, pire encore, que son excentricité même ne soit pas marketée - et aidé, il faut l'avouer, par un tempérament furieusement sanguin - Patton n'aime, on le sait, rien tant qu'avancer sous le couvert de la farce régressive la plus navrante... Le chanteur jette ainsi depuis ses débuts toutes ses forces dans des dérapages sévères qui choquent le proverbial bourgeois mais aussi son propre public... Trop pressé pour s'embarrasser de nuances, Patton s'est ainsi fait l'apôtre d'une scatologie barbotant régulièrement dans une coprophilie dont seuls les cœurs bien accrochés goûteront l'humour...
La maison ne reculant devant aucun sacrifice, allez, on enfile bottes et ciré et on y va, rapide, promis : à un concert, un fan lui jette une bouteille remplie d'un liquide en provenance directe de sa vessie compressée ? Patton choisit de s'en verser le contenu sur la tête... Inspiré, le chanteur subviendra à ses propres besoins à un autre concert, sous le pavillon de Mr. Bungle cette fois-ci, en remplissant lui-même une botte jetée par un fan de son propre liquide et en en buvant, semble-t-il, une gorgée...
Par ailleurs fier défécateur en public, Patton semble vouer un véritable culte à ses selles qu'on est en droit de trouver excessivement narcissique et qui le, euh, pousse à redoubler d'ingéniosité quand il s'agit d'exploiter son œuvre viscérale : en truffant le sèche-cheveux d'un hôtel - "that's when the shit hits the fan" disent nos amis anglophones - ou, en tournée avec le groupe L7, en remplissant consciencieusement une boîte de jus d'orange, discrètement replacée à la disposition de ses potes... Rapidement, le facétieux Mike ne put d'ailleurs pas échapper aux rumeurs de coprophagie lancées par une presse rock de toute évidence pas repue des écœurants excès du californien...
On s'en voudrait de se vautrer trop abondamment dans la bauge de notre terroriste fécal donc finissons avec ce "funniest and scariest moment in rock" qui prit place à l'Astoria de Londres, le 10 mars 2002... Complexe, l'affaire fut vite débrouillée par Patton, jamais à court de solutions choc... Le nœud de la chose : au plus fort du concert de Tomahawk, Mike exhiba fièrement ce qui semblait être sa partie la plus intime, d'une taille toutefois exceptionnellement généreuse, et pissa copieusement sur le premier rang sur des photographes, et tout particulièrement, semble-t-il, sur un, comment dire, membre de la sécurité qu'il avait à plusieurs reprises pris à parti devant la foule... On sut plus tard que, l'après-midi même, lors d'une réunion business à propos d'un projet de disque de reprises de Faith No More, Patton, excédé par l'attitude d'un des musiciens convoqués pour l'occasion, était sorti furibard de la pièce et s'était vu menacé par un cerbère qui l'avait contraint à regagner sa place en lui assénant un "get your skinny little ass back in the meeting and make it happen!" fort pédagogique, convenons-en... Diplomate, Patton en était venu aux mains avec le colosse mais, pas satisfait, avait comploté cette humiliante vengeance en puisant dans la réserve de gadgets de ses potes de Tomahawk qui étaient allés traîner quelques heures avant dans une échoppe londonnienne spécialisée et avaient déniché ce postiche à jet d'eau tout droit sorti de la malle de Jango Edwards... Tout ceci contraignit toutefois le groupe à publier un communiqué pour tout clarifier - on commençait à avancer que Patton avait été arrêté, etc. - et mettre fin à l'histoire dont, bien évidemment, rigole aujourd'hui encore le chanteur...
Et puis il y a cette lettre, dans les colonnes du regretté Best, d'une australienne, journaliste doublée d'une fan hystérique, se lamentant de l'accueil que le méchant Patton, période Faith No More, réserva à une de ses lubies en 1993... Convaincue de respecter à la lettre l'esprit destroy du chanteur, la désormais fameuse Tracey Mac Commack entreprit à l'issue d'un show à Wollongong d'attacher l'infortuné chanteur avec des menottes pour lui extorquer une interview... Las ! Furieux et vite libéré, celui-ci se rua sur la jeune journaliste, l'insulta et la bouscula un peu fortement... Retranchée dans sa chambre d'hôpital, la journaliste multiplia par la suite les appels au boycott du groupe et les procédures judiciaires et épancha ses griefs dans le mensuel français... Ce qui lui valut, en guise de réponse, le soutien inconditionnel d'un Patrick Eudeline déjà à côté de ses 'tiags, voire à leur extrême-droite, qui, se rengorgeant derrière ses jabots de Brummel toxico, prit d'on n'ose deviner où sa plus belle plume et se fendit de commentaires confits d'ironie petite-bourgeoise - "Donnez à un grand singe une guitare, il en sortira du Faith No More", "Un chanteur de Faith No More, cela ne sait même pas lire" (bien envoyé), etc. - offrant généreusement aux lecteurs de Best, sans supplément de prix, le meilleur des édito de Philippe Bouvard...
Mais, comme souvent, on s'égare... En tout cas, ce contexte installé, on comprend mieux combien le par ailleurs talentueux Patton, courtisé par les plus improbables groupes, jusqu'au Velvet Revolver des ex-Guns Slash et Duff, fut sidéré de se voir proposer la place de chanteur au sein de... INXS... Au lendemain de la pendaison de son chanteur Michael Hutchence, le groupe australien cherchait un remplaçant au bellâtre angoissé pour porter la flamme de son rock FM et, décidément, curieux humour local oblige, porta son choix sur Patton, estomaqué : "Needless to say, they approached me. I don't know what the hell they were thinking. It seemed like a practical joke, but they were serious. I made light of it and they got very pissed off..." nous rassura-t-il...
Bon, on finit - la question, obsédante, court depuis la toute première ligne de cette chronique : Patton est-il un gros con ? Ne vous y trompez pas : poète plutôt, tendance punk-dada... Caché au fin fond d'un titre perdu dans un de ses innombrables albums, cet aveu : "I know that assholes grow on trees / But I'm here to trim the leaves"...