Heard It On The X #22
Et de vingt-deux. Le service trois pièces de nos short stories rock 'n' rollesques est de retour avec, au menu, l'improbable - littéralement - rencontre entre Bob Marley et Prince, la vraie-fausse guéguerre par lyrics interposés entre Steely Dan et les Eagles et les exploits marketing, et un tout petit peu musicaux, d'un septet du New Jersey, oublié de longue date (sauf par toi, là-bas, oui, bravo)...
Ouane/ ... Prince et Bob Marley ? Oui, le parapluie, la table de dissection, la carpe, le lapin, tout ça - et puis, dans le genre, on a fait plus rock, on vous l'accorde et on se risquera même pas à arguer de la présence crossoveresque de Wayne Perkins sur Catch A Fire ou de certain solo magique de pluie pourpre pour justifier de l'inclusion du Gémisseur jamaïcain ou du funky Dio de Minneapolis en ces colonnes graniteuses... Bref, où en étions-nous ? En 1979, tiens : Don Taylor, le manager de Marley se fend d'une super idée : associer son poulain beuhphile au petit prodige néo-funky dont le talent, à peine éclos sur deux albums, paraît suffisamment prometteur pour tenter l'aventure artistico-commerciale... L'aventure tourne court : emmené backstage avant un show pour y rencontrer Prince, Marley découvre, en fait de la bête de scène vantée par son manager, un petit gars tout en moue boudeuse en train de gigoter en string léopard... En Jamaïque, ça ne passe pas, vous le saurez maintenant...
Tou/ Marronnier du journalisme péri-rock, les guerres, manichéennes et donc vendeuses à souhait, entre groupes - Beatles vs Rolling Stones, Led Zeppelin vs Deep Purple, Oasis vs Blur, Metallica vs Megadeth bla bla - paraissent rarement fondées au fan un peu scrupuleux, quand, du reste, elles ne sont pas pilotées par les groupes eux-mêmes... L'une des plus mal interprétées opposa, au mitan des seventies, deux cadors du rock californien ultra-léché alors en plein essor, les angelenos Eagles à ma gauche et les new-yorkais (oui...) Steely Dan à ma droite... On continue en effet aujourd'hui encore à (essayer de faire) croire que les deux formations se sont tiré dessus via les paroles de leur chanson alors que la chose sent la manipulation marketing à plein pif... Les détails ? Sur l'album Royal Scam de Steely Dan, figure un titre, "Every thing you did", au texte comme à l'accoutumé délicieusement vitriolesque, dans lequel le narrateur, embarqué dans un jeu trouble avec sa femme qu'il soupçonne d'adultère, lâche, en plein fritage matrimonial : "Turn up the Eagles the neighbors are listening"... C'est Glenn Frey, des Eagles, qui donna la clé de ce curieux clin d'œil - on nous passera l'image - en révélant que Walter Brecker, de Steely Dan, se bouffait régulièrement le nez, à l'époque, avec sa girlfriend et que celle-ci n'aimait rien tant que passer des disques des Eagles... Il n'en fallut pas plus pour que certains y entendent une déclaration de guerre - là où, tout au plus, on pourrait sentir un peu d'ironie - , à laquelle les Eagles répondirent dans leur fameux "Hotel California", avec cette ligne plus cryptique : "They stab it with their steely knives"... Pas vraiment diffamant non plus, et en tout cas, pas de quoi fouetter un chat et puis, quand on sait que les Eagles n'ont jamais caché leur admiration pour Steely Dan et que les deux groupes partageaient le même manager, on se dit que, bon...
Sri/ Seventies toujours : qui se souvient encore des infâmeux Dr Hook & The Medicine Show ? Les sept enfumés du New Jersey - oui, ils étaient sept - avaient certes un talent peu étouffant et le vivaient bien, sans d'ailleurs se refuser des hits ponctuels l'air de rien, et zonaient gentiment au début de la décennie en question quand, en 1973, un certain Shel Silverstein, qui faisait dans le dessin pour enfants sous le nom de Uncle Shelby, le cartoon, le poème et même, pourquoi pas, la création de titres de rock, leur proposa une nouvelle compo, après une première collaboration fructueuse (le petit hit "Sylvia's Mother" repris bien plus tard par... Bon Jovi, oui)... Son idée du moment ? Un titre racoleur, conduit par des paroles cyniques et plutôt drolatiques, dont l'acmé se fixait dans un constat désespéré : ils ne feront jamais la Une du magazine Rolling Stone... Qu'on en juge :
We gotta lotta little teenage blue-eyed groupies
Who'll do anything we say
We got a genuine Indian guru
Who's teachin' us a better way
We got all the friends that money can buy
So we never have to be alone
And we keep gettin' richer, but we can't get our picture
On the cover of the Rollin' Stone
Passablement stoned, les gars acceptent - mais même enfouis dans leurs bouffées fabuleuses, ils se doutent que c'est pas non plus "Drive My Car" qu'ils vont graver pour l'éternité... Au final, un titre potache countrysant, agrémenté d'un solo de gratte qui, comment dire, vaut le détour, est mis en boîte... Naturellement, le truc se hisse en tête des charts ricains et, comme poussé vers la plus logique de ses conclusions, attire l'attention de Rolling Stone qui décide, tongue-in-cheek, de porter effectivement en une le groupe - enfin trois des gars en tout cas, et caricaturés qui plus est (allusion au géniteur du hit ?) avec cette légende forcée : "What's-Their-Names Make The Cover"...
Mentionnons quand même, pour finir, le succès, moins éclatant, du titre en Angleterre, où, sujet à une loi interdisant la mention de publications commerciales, il fut rebaptisé "The Cover of the Radio Times" pour plaire aux censeurs de la BBC Radio...
Et ce n'était pas tout - la blague paraissait tellement savoureuse qu'elle fut pressée comme un citron, jusqu'à la dernière goutte, dans la plus pure tradition capitalo-mercantile : se référant à un autre passage de leur hit ("Wanna buy five copies for my mother"), le groupe débarqua dans les locaux san franciscains de Rolling Stone et demandèrent à ce que l'on leur remette les 5 fameuses copies (non sans contradiction avec la profession de foi de leur propre titre) et, évitant à peu de choses près de se faire virer manu militari par le réceptionniste, ils obtinrent leur dû...