Iron Butterfly: Unconscious Power

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Les derniers jours d'un scientifique autodidacte de génie retrouvé mort à 42 ans avec seulement 40 cents dans les poches, à la veille d'une découverte majeure estimée à des millions de dollars, ça vous branche ? Nan ?... Et si on vous dit que le nerd en question, Philip "Taylor" Kramer, fut aussi bassiste de troisième mi-temps d'un groupe sixties pas encore tout à fait oublié, en tout cas au moins pour un titre édénique ? Et si on ajoute qu'au menu, on vous a mis certes du papillon d'acier mais aussi du terroriste, du FBI, du New Age et de l'alien - et même un bout d'Oprah Winfrey ? Allez, tut tut tut, c'est décidé, on vous emmène...

Bon on s'en voudrait de vous le survendre quand même : si Iron Butterfly fut, le temps d'un album et surtout de son hypnotique mélopée éponyme, l'infamous et célébrissime "In-A-Gadda-Da-Vida" raillé par certain moustachu, un des groupes majeurs de la scène psyché sixties, Kramer n'en fut le bassiste que dans un de ses reformations les plus confidentielles, en 1976, alors que le groupe vivait depuis longtemps sur une gloire fanée... Plus méritoire sans doute, notre lascar a officié dans un obscurissime groupe, Max, aux côtés du futur Dead Boy Stiv Bators, voilà, c'est mentionné.

Au terme de cette brève intimité avec le succès, Kramer jeta pleinement son dévolu sur un tout autre violon d'Ingres, plutôt inattendu : les sciences et plus particulièrement les mathématiques... En quelques années seulement, grâce à des cours du soir à l'évidence consciencieusement suivis, notre ex-gratteur de quatre-cordes était devenu ingénieur dans l'aérospatiale et bossait pour le Ministère de la Défense américain sur la configuration des trajectoires de missiles nucléaires type MX... Par ailleurs informaticien surdoué, de l'aveu des spécialistes, Kramer avait fondé avec son père une société, Total Multimédia, et développé en son sein une technologie révolutionnaire de compression et transmission des données appelée à bouleverser le monde des communications... En bref, et comparaison et pour un peu, l'ingénieur stoogien James Williamson, avec sa carrière au sein de Sony, passerait pour un pur produit corporate...

Autre objet des recherches du bassiste californien - quand il n'était pas occupé, le plus sérieusement du monde, à contester vigoureusement rien moins que les théories de Einstein -, la... vitesse de la lumière dont il proposa comme ça, pour voir, le dépassement grâce à de savantes équations ouvrant le champ aux voyages intersidéraux...

Pas mal pour un bassiste californien rangé des fumettes, non ? Un destin unique jusqu'au bout d'ailleurs : le 12 février 1995, Kramer disparut tout simplement, sans laisser aucune trace... Aperçu pour la dernière fois vivant au volant d'un mini-van Ford Aerostar 1993 sur la Highway 101, sur la route du Los Angeles International Airport à quelques 30 miles au nord de la mégalopole californienne, Kramer devait y retrouver un investisseur potentiel se proposant de renflouer sa société alors proche du naufrage... D'après ce qu'on en reconstitua ensuite, l'emploi du temps de Kramer consista essentiellement à poireauter une bonne heure à attendre son contact qui n'arriva jamais, d'appeler sa femme puis de laisser un curieux message à Ron Bushy, le batteur de Iron Butterfly avec qui il était resté pote, lui promettant de le retrouver "on the other side"... Détail classe : une facture de parking non payée d'un montant de 3$ fut d'ailleurs envoyée à la femme de Kramer 10 jours après...

Kramer appela également, si on en croit certains articles de l'époque, la police à ce fameux 911 - en les prévenant obligeamment qu'il allait se suicider... Il en profita pour donner un coup de pied dans la fourmilière angelenos du moment en ces termes choisis : "I'm going to kill myself. And I want everyone to know O.J. Simpson is innocent. They did it." ce qui, on l'imagine, ne fit qu'épaissir la purée de pois entourant sa disparition... Celle-ci passionna vite les foules américaines et eut l'honneur, tout relatif, de passer dans des émissions racoleuses ultra-populaires comme Unsolved Mysteries et America's Most Wanted - et même, oui, l'Oprah Winfrey Show, on vous l'annonçait en intro, sacrifions au name-dropping pour un meilleur référencement...

Dès lors, vous la voyez venir, les théories conspirationnistes débondèrent - d'autres exemples abondent sur le ouèb - portées entre autres par Ron Bushy lui-même qui déclara : "Somebody put a gun to his head, because he'd just made a breakthrough in this new technology. [...] I honestly believe that he has been abducted by our government or an agency that is part of it or maybe a foreign government or a company." Évidemment on alla plus loin dans le sordide fantasmatique grâce aux interventions remarquées d'un US Congressman pur jus, un certain James Traficant (oui...), Démocrate de son état et ami de la famille, qui dépêcha le FBI sur l'affaire par deux fois au motif que le pays courait le risque d'être l'objet de rien moins que des frappes nucléaires... Sa théorie ? Kramer aurait été enlevé par des terroristes et aurait subi un lavage de cerveau... D'autres ennemis de l'Amérique, dont on sait qu'ils sont chaque jour plus nombreux, furent ensuite proposés et on avança même que Kramer, pris aux pièges de ses découvertes, s'était vraisemblablement paumé dans un cyberespace de sa création...

Plus raisonnablement, une partie de l'explication est peut-être à chercher, si l'on peut se permettre, du côté d'une rencontre tout ce qu'il y a de rationnelle : quand la boîte de Kramer commença a avoir de sérieux problèmes de comptabilité, l'infortuné bassiste eut l'heur de rencontrer un de ces individus sulfureux qui croisent à proximité des sociétés en instance d'échouage... Le crook en question, Peter Olson, avait quelques lettres de noblesse - ex-vice-président de MCI Communications par exemple... - mais était surtout un adepte de la tambouille New Age au point de se considérer moitié humain, moitié extra-terrestre, sans qu'on sache quelles moitiés étaient respectivement concernées... Olson paya ainsi, en manière de première intervention, un shaman paraguayen pour purifier les bureaux de la boîte de ses énergies négatives, le tout pour la modique somme de 30 000 $...

Kramer, quant à lui, ne tarda pas à croire qu'il jouissait lui aussi d'une liaison spéciale avec des intelligences extra-terrestres... Quelques jours avant sa disparition, il se répandait ainsi en explications cosmologiques, fatras pacorabannesque selon lequel la terre allait être écrasée par une supernova, que son propre père était, littéralement, Dieu et que sa femme Jennifer était, euh, Mother Earth... Tout ceci doublé comme il se doit d'un délire paranoïaque aigu dépressif qui le poussa notamment à dire à un de ses collègues : "We have to get off the planet" et à convaincre sa femme de déménager ("Honey, we're going to have to live behind walls. Honey, people are going to want to get at me.")...

Le pauvre gus ayant lu en sus le magnus opus The Celestine Prophecy, un ramassis de paulocoelhonneries en vogue dans les milieux New Age - et d'autres d'ailleurs si on en croit les chiffres de ventes faramineux... -, il avait intimé à sa femme de ne manger que les "couleurs du spectre" (sans qu'on sache si les proverbiaux 5 fruits et légumes y étaient inclus), de ne pas porter de noir ni de manger de viande... Après sa disparition, la propre sœur de Kramer elle-même ne fut pas épargnée par tout ce cirque : contactée par des mediums qui jouèrent du pendule et arrivèrent à la conclusion démentielle que Kramer avait été victime d'un accident mais... était encore vivant et vénéré comme un dieu parmi les Indiens Pechanga, la pauvre Kathy n'eut pas d'autre choix que de se rendre dans dans une réserve de la banlieue de Los Angeles et obtenir la blessante confirmation que, de son frère, il n'y avait naturellement nulle trace parmi la tribu...

Le 29 mai 1999, les restes de Kramer furent retrouvés, au fin fond du Decker Canyon, près de Malibu : l'enquête conclut formellement à un suicide...