Jimi Hendrix & Friends: Isle Of Wight
"This is the last festival, it began as a beautiful dream but it has got out of control and it is a monster..." Ça, c'est du promoteur Ron Foulk, ça date du 1er septembre 1970 et ça parle de son bébé, le fameux festival de Wight... Allez, avouez-le, ce Festival de Wight, vous ne savez plus trop : les années soixante ? soixante-dix ? la côte Ouest ? Est, peut-être ? Gagné (ou presque) : le festival de Wight, c'est le Woodstock anglais - mais en fait, ça a commencé avant Woodstock, en 1968 - et, du 26 au 30 août prochains, on en fête les 40 ans de la plus mythique des rares cuvées, oui, loin devant les tout aussi British mais moins flamboyants Knebworth et Reading and Leeds Festivals... Et, du reste, depuis 2002, c'est tous les ans... Bref, on se rafraichit la mémoire ?
Cette - petite - île, c'est où, d'ailleurs ? On fait pas plus simple : elle est pile centrée au sud de l'Angleterre, au large du comté de Hampshire, oui, la patrie de Charles Dickens et Jane Austen mais on sent qu'on vous perd, là... Une centaine de milliers d'habitants, une petite station balnéaire aux yachts lustrés aussi, qui, curieusement, accueillit avec défiance le million de hippies qui y débarqua sans crier gare à l'été 1970... Mais avant ce point d'orgue primo-seventies, deux coups d'essais : la première édition du festival ne dura qu'un jour, le 31 août 1968 et se tint précisément à Ford Farm, tout près de Godshill, pour ceux qui visiteraient l'île en lisant ces lignes... Un succès d'estime, a-t-on envie de dire, en regard des crus suivants mais 10 000 personnes tout de même et puis du beau linge avec Jefferson Airplane, Tyrannosaurus Rex (encore folkeux avant l'explosion glam), les Move, les Pretty Things, Arthur Brown... Le prix du ticket ? £1.25...
Il faut toutefois attendre l'édition de 1969, les 30 et 31 août, qui prit plus ou moins stratégiquement le relais, à quelques jours près, de Woodstock, pour que la petite île anglaise fasse enfin du bruit dans le landerneau rock... Ray Foulk, l'un des frères, avec Ron et Bill, qui mit sur pied toute l'aventure, s'y était, il faut dire, pris à l'avance et n'avait rien laissé au hasard puisqu'il fit venir rien moins que Bob Dylan, devenu fantôme du rock depuis son vrai-faux accident de moto... Délaissant Woodstock pour Wight, Dylan y fit ainsi sa première apparition publique depuis sa réclusion et donna naturellement au festival une notoriété internationale... Bon, on l'imagine, Dylan en avait évidemment rien à foutre de cette petite île inconnue, anglaise de surcroît, mais Foulk le tanna six mois durant, allant même jusqu'à New York lui montrer une vidéo des paysages de l'île, en appelant en dernier recours au romantisme du poète new-yorkais en lui rappelant que Wight abritait la résidence d'Alfred Tennyson... Convaincu, Dylan et son band s'envolèrent pour Wight en plein Woodstock et répétèrent, comme il se doit, dans une grange... On y vit même des Beatles, venus faire écouter au barde les bandes de leur tout chaud Abbey Road, une paille...
Si la prestation de Dylan fut, finalement, en demi-teinte et sa set-list, tirée de ses récents Nashville Skyline et John Wesley Harding, déconcertante pour le public (un petit morceau traîne sur Self Portrait pour les amateurs), elle attira John Lennon et George Harrison (et leurs fameuses nanas respectives Yoko et Patti), Elton John, des Pink Floyd, des Stones - Keith Richards et Bill Wyman - et, bien sûr, un Eric Clapton terrassé, quant à lui, par le concert...
Outre le Maître, la programmation comprenait quand même, en passant, les Who, les Nice, Pretty Things, Family, Joe Cocker, Blodwyn Pig (mais si...), le Bonzo Dog Doo-Dah Band, Free, Fat Mattress (le groupe de Sa Suffisance Noel Redding), Aynsley Dunbar et même Richie Havens qui, présent à Woodstock quelques jours avant, usinait donc méchamment... L'organisation fut, soulignons-le, sans faille et aucun incident ne fut à déplorer... Des 250 000 spectateurs (peut-être moitié moins en fait) de cet été 1969, on passe à 600 000 l'année suivante, du 26 au 30 août 1970, pour ce qui fut annoncé comme "le" festival de l'île de Wight - et, effectivement, s'imposa comme tel - ou, plus précisément, à 1 million de personnes (!) si on compte les resquilleurs... Les autorités s'affolèrent, à juste titre reconnaissons-le, et la chose fut portée à Westminster sans que cette édition fut inquiétée...
Cru mythique, donc, et largement filmé d'ailleurs : les Who, Jimi Hendrix, Emerson, Lake & Palmer - "first debut performance ever", nous dit le MC -, les Doors (dans le noir, Morrison ne voulant pas des spots de l'équipe de tournage), Ten Years After, Free, Jethro Tull, Chicago, Procol Harum, les Moody Blues, Sly & the Family Stone (et même Miles Davis) en poids lourds mais aussi Joan Baez, Joni Mitchell, Donovan, Tony Joe White, Richie Havens, Melanie - bon... -, Kris Kristofferson (qui se fit huer en raison d'une performance inaudible) et puis, moins starifiés, Supertramp (les premiers pas du groupe), Family, les roboratifs Groundhogs et leurs rivaux les Pink Fairies, le power-trio creamesque de Rory Gallagher Taste dans une de ses dernières prestations scéniques (comme pour Jimi, du reste, qui mourut moins d'un mois plus tard), le presque chanteur de Led Zeppelin Terry Reid, la "réponse américaine" à ces derniers Cactus, Hawkwind aussi...
Acclamé et révéré, sa notoriété prolongée sur disque et pellicule, le festival 1970 connut un douloureux épilogue, heureusement trop tardif pour le menacer directement, quand le Parlement britannique, alerté nous l'avons vu, décida de voter le "Isle of Wight Act" qui interdit purement et simplement tout festival sur l'île...
... ce fut le cas jusqu'en 2002 où le festival, contre toute attente, renaquit de ses cendres pour produire depuis, chaque été, une nouvelle édition : nécessairement moins mythique, tapant à un estimable 50 000 personnes, il continue quand même à attirer du beau monde, les vieilles stars y faisant assez facilement le déplacement pour des raisons qu'on vous laisse supposer : les Who (oui...), les Stones, David Bowie, Police, Neil Young, Sex Pistols, McCartney et du hype périssable, genre Kooks ou Razorlight (vous aurez oublié si vous lisez ces lignes dans plus de deux ans)... Le programme de l'édition 2010 qui s'est tenu du 11 au 13 juin dernier ? Blondie, les Strokes, McCartney et même Steve Harley and Cockney Rebel mais c'est dans les noms d'obscures formations comme The Big Pink et Are You Experienced que tout est probablement dit...