KISS: Nothin' To Lose
Il est difficile d'imaginer aujourd'hui combien le hard-rock mercantile du groupe pour enfants KISS, cyniquement assumé par ses membres bien malins, balaya l'Amérique dans les grandes largeurs dans nos chères seventies décidément par trop indulgentes... Mais ne boudons pas notre plaisir - d'autant que c'est moins le rock poussif des quatre New-Yorkais maquillés à la truelle qui nous intéresse ici que l'efficacité marketing de son impayable leader (?) à la langue tex-averyesque, le bassiste Gene Simmons...
Designer inspiré de la guitare-hache, l'homme aux 4 500 conquêtes revendiquées, dépucelé - donnée historique - à l'âge de 13 ans par une femme de ménage, fut un temps instituteur puis odontologue en herbe promis à une brillante carrière de dentiste, vite avortée au prétexte somme toute recevable que "les dentistes n'obtiennent jamais de sexe oral à moins de vous assommer avant", avant de découvrir sa véritable vocation : homme d'affaires - et, accessoirement, bassiste dans un groupe fonctionnant comme tête de pont de ses redoutables ambitions... Aussi carnassier que Mick Jagger, les circonvolutions british en moins, Simmons reste le plus grand expert en merchandising rock que le genre ait porté, sans que la sympathie qu'inspire le personnage en soit véritablement entamée, d'ailleurs... Petit tour d'horizon de la fabuleuse boutique lancée par Simmons, il y a plus de trente ans - et, oui, au passage, on en finit avec cette histoire de sang, d'encre et de comics...
Âprement défendue par le bassiste, la "marque" KISS (puisqu'il est entendu que le groupe fut résolument conçu comme une plateforme commerciale) a été récemment estimée à un milliard de dollars, provoquant l'écoeurement d'une bonne partie des amateurs rock et jusqu'à celui des fans hardcore du groupe... Simmons, dépositaire du symbole "$" des boîtes Monopoly comme on l'a déjà dit, trouve le tout plutôt bon enfant et sans prétention, comme il tente de nous le faire avaler dans sa biographie linguale intitulée... Sex Money KISS...
Alors, le merchandising KISS, c'est quoi ? Des milliers de référence en magasin - et plus encore : les célèbres figurines des membres du groupe (modèle normal ou super-héros testostéronés), des cartes de crédits (Platinum Visa Card émis par la banque FirstUSA), des jeux de société (puzzles, cartes, etc.) dont le fameux KISS-opoly, des jeux vidéo (sur PlayStation) mais aussi des masques d'Halloween, des puzzles, des frisbees, des sucettes, des lampes, des timbres, des calendriers et puis aussi des médiators, des ceinturons, des chewing-gums, des préservatifs, des briquets Zippo, des paniers à repas, du café, des thermos, des mugs... La gamme de ce rock 100% marchand reste, à ce jour, en expansion constante et comprend parmi ses plus belles réussites, sinon commerciales du moins conceptuelles, une ligne de produits de beauté "KISS Him" (pour les hommes, donc : déodorant, eau de Cologne, shampoing, savon liquide, crème à raser, body spray...) et "KISS Her" (gagné, pour les femmes : crème pour le corps, gel douche, parfum, sels de bain...).
Notre produit préféré (non testé) ? Un des derniers, le "KISS Kasket" : un cercueil de 4,500$ à l'effigie des affreux, frappé d'un métaphysique "KISS FOREVER" sur ses flancs renforcés pour l'éternité... N'ayant curieusement pas vraiment trouvé preneur, l'objet fut reconverti en glacière à bière ainsi que le précisa très sérieusement un Gene Simmons affolé par l'échec patent de son bouzin...
Mais le coup d'éclat marketing du bassiste fut bel et bien cette cultissime légende auto-fabriquée du saignant lancement d'un magazine de bandes dessinées consacré entièrement au groupe... Archi-rebattue, elle mérite une énième mise au point, pour les absent(e)s ou les distrait(e)s... En deux mots : à l'occasion de la sortie du tout premier comics KISS en 1977 (chez le cultissime Marvel Comics, bravo Gene !), le bassiste et son entourage décidèrent de frapper fort pour s'assurer de confortables ventes et claironnèrent partout que chacun des musiciens du groupe verserait son propre sang dans l'encre qui servira à imprimer le magazine... Pas fous, les musiciens s'adjoignirent les services d'un photographe qui immortalisa la scène - enfin, ce qu'on voulait bien en montrer aux kids - dans l'imprimerie Borden Ink utilisée par Marvel, à New York... Le quatuor peinturluré prit également le soin de faire certifier par un notaire l'authenticité de leur sanglante donation dans une lettre reproduite depuis des milliers de fois et chérie par les fans du groupe sous le nom du "KISS Comic Book Contract"...
Un extrait ? "This is to certify that KISS members, Gene Simmons, Ace Frehley, Paul Stanley and Peter Criss, have each donated blood which is being collectively mixed with the red ink to be used for the first issue of the Marvel/KISS comics. The blood was extracted on February 21st, 1977 at Nassau Coliseum and has been under guarded refrigeration until this day when it was delivered to the Borden Ink plant in Depew, New York. ".
Il fut évidemment des prédicateurs ricains pour monter en chaire et tonner contre les perversions satanistes des quatres guignols mais, pour l'essentiel, le but fut atteint et les centaines de milliers d'exemplaires du comics se vendirent comme des petits pains. Les musiciens tentèrent d'ailleurs à nouveau l'expérience magazine en 1979 mais, à court de gimmick, se plantèrent en beauté... Quant à la légende, elle produisit un temps un curieux surgeon sous la forme d'un rumeur qui voulait que certaines vinyles du groupe de couleur rouge aient, eux aussi, été consciencieusment imbibés de la précieuse hémoglobine de Gene, Paul, Peter et Ace... Lancée par quelques fans et donc ne bénéficiant nullement de la force de frappe commerciale de Simmons, cette nouvelle légende, par ailleurs fausse, connut une fin rapide...