KISS: Rock Bottom
Vous reprendrez bien un peu de KISS ? Allez, on l'avoue, on a un faible, certes un peu acide, envers nos guignols fardés et leur rock MacDo... On se surprend d'ailleurs, à la faveur d'une relecture rapide d'une précédente livraison sur le sujet, à découvrir dans notre prose ampoulée quelques élans de sympathie envers Gene Simmons, le plus grand banquier du rock, dont les interviews récentes, de plus en plus enferrées dans un cynisme capitaliste bourrin et arrogant, nous amèneraient toutefois à revoir notre jugement pour conclure plus simplement que le bassiste à la langue pendue est un gros con... Mais on s'égare (et on s'ampoule à nouveau), foin de polémique et retour à la légende, au risque de s'attirer les foudres de la célèbre KISS Army, cette légion de fans du groupe dont, tiens, on va vous raconter l'histoire... Et puis tant qu'on est sur le sujet, on vous parlera de la langue de Gene, du signe du diable inventé (ou presque) par ce dernier, et puis de Dr Strange, de Spiderman, de vomissements sanguins bien sûr, d'une dérouillée de (faux) Bee Gees, de Erica la batteuse du groupe, de Jim Morrison son fameux guitariste, du single "Detroit Rock City" / "Beth" et d'autres choses encore - bref la panoplie complète...
Tiens, on commence par un tour des fondamentaux du groupe, histoire de mettre la chose au clair... Si nul n'ignore que le groupe se produisit maquillé jusqu'en 1983, année où, pour la parution de l'album Lick It Up, il fit tomber les masques, on sait moins que ce formidable coup marketing du père Gene et de ses potes - le travestissement glam-rock porté à l'hystérie ado-régressive - produisit son lot de fabulations, amplifiées comme il se doit avec les années... Une première théorie, romantique à souhait, voulait que les musiciens, défigurés par un terrible accident, aient trouvé cet astucieux subterfuge pour se produire sur scène sans effrayer leur public... On imagine que, dans cette version, un accident commun était envisagé et non, concours de circonstances particulièrement heureux, quatre accidents simultanés...
D'autres, moins rêveurs, soutinrent qu'en fait de maquillage, il s'agissait de tatouages ce qui, semble-t-il, en jetait pas mal et en tout cas plus qu'un simple ripolinage facial, toujours un peu ambigu pour des mecs... Plus cohérente, et particulièrement pertinente si on la ramène à la monomanie commerciale de Gene Simmons, une autre explication établissait que l'habile stratagème consistait à maquiller à l'identique plusieurs versions du groupe qui, dès lors, pouvaient arpenter simultanément toute l'Amérique et récolter un max de pognon en générant des recettes multipliées...
Mieux encore ? Bah oui - il suffit de rajouter du beau linge... Par exemple, Jim Morrison, dont on sait qu'il est resté parmi nous longtemps après sa mort, est supposé avoir fait partie du groupe depuis ses débuts, sous un travestissement obligatoire, notoriété oblige... Sous les traits, donc, de Paul Stanley, parfois, mais surtout de Ace Frehley dont les beuveries morrisonniennes et, par ailleurs le très suspect mutisme (les premières années en tout cas) indiquaient suffisamment qu'il s'agissait du Roi Lézard en personne, Morrison a ainsi conduit l'aventure KISS des années durant... Et que Frehley, pas vraiment de la corpulence du Morrison obèse des supposés "derniers" mois, soit par ailleurs guitariste accompli n'est évidemment qu'un détail aux yeux de nos exégètes...
KISS, son maquillage collégial, donc, mais aussi sa langue - enfin, celle de Simmons, dont le bassiste cac40ophile ne se prive jamais d'exhiber l'exceptionnelle longueur, probablement sous les applaudissements des fans les plus freudiens... Si longue, cette langue en tout cas, que certains se sont même interrogés sur son origine : n'y aurait-il pas eu intervention chirurgicale ? Que de douleurs pour si peu alors - quant à la rééducation, on vous laisse imaginer... En bref, une pantalonnade... Ce qui n'empêcha pas d'autres d'aller plus avant encore dans la spéculation et d'expliquer, entre deux théories fumeuses sur une énigmatique mâchoire à double jointure (sur le modèle de celle des requins ?) de Simmons qui lui permettrait de faire jaillir son organe avec une allonge rare, que le bassiste s'était fait, à l'évidence, greffer une langue de... vache. Oui. On ne commente pas...
Il semble d'ailleurs que les bovidés tiennent une place particulièrement importante chez les scrutateurs du groupe et notamment du bassiste - c'est en effet, par le jeu de confusions affabulatrices complexes, encore une vache qu'on retrouve à l'origine d'un autre trait caractéristique de Simmons, à savoir ses projections de sang par la bouche... Selon certains, ces spectaculaires vomissements seraient en effet constitués de sang de vache... Bien sûr, d'autres soutiennent que c'est du sang humain mais, globalement, la vache est plutôt majoritaire dans les suffrages... On parla aussi, naturellement, de ces petites capsules utilisées au cinéma ou même d'une formule chimique inédite, concoctée par Simmons en collaboration avec la firme 3M, mais il semblerait tout de même, du propre aveu de l'intéressé, qu'il s'agisse d'une simple mixture perso à base d'œufs et de teinture alimentaire...
Et puis, tant qu'on y est, ce signe du diable, une invention de KISS et même de l'incontournable Simmons ? Mais si, vous ne connaissez que ça : ces petites cornes représentées par l'index et l'auriculaire fièrement pointés, là, sur les photos... Bon, ici, il faut être précis... Certes, Simmons est souvent crédité comme l'inventeur du symbole (au grand dam de Dio), comme il l'expliqua lui-même dans une interview pour un magazine de bandes dessinées américain : "You know, I started doing a hand signal like this in live concerts that everyone is now doing. I didn't even know what it meant. Then I found out it means : "I love you" in sign language. And of course, the idiots in the Bible Belt thought it was devil worship stuff... Then I found out that unsubconciously I must have been doing Dr. Strange...". On sait l'intimité des relations commerciales entre le groupe et la bd et on ne s'étonnera pas, donc, du signal fort envoyé par Simmons aux fans du Dr Strange, créature de Stan Lee, qui s'était fait notamment connaître par ce signe ésotérique - partagé d'ailleurs, curieusement par Spiderman mais on va perdre à nouveau le fil...
Bref, on prétendit aussi que c'est probablement plutôt pour ne pas laisser tomber son médiator que Simmons accoucha de ce curieux agencement digital ; la manipulation paraît toutefois douteuse quand on jette un œil aux photos de l'époque... Repris dans la foulée en concert par des hordes de hardos, il devient un incontournable des rockers satanophiles à la petite semaine même si, techniquement, le signe du heavy-metal se fait poing fermé, pouce replié donc et non ouvert, comme dans la version de Gene... Et puis, une fameuse photo d'un Beatle n'est-elle pas la preuve que Lennon lui-même a utilisé ce signe des années avant ? Toujours est-il que, après 1983, Simmons a plus ou moins laissé tomber la chose...
Quant aux autres mythologies véhiculées par le groupe, il y a de quoi se régaler : combien de "fans" jurent encore avoir vu KISS en tournée en 1981 après l'album Music From "The Elder" ? Et que l'album fit un flop et contraignit le groupe à annuler la dite tournée n'est évidemment qu'un point de détail dans la démonstration... Dans la même série gentiment mythomane et/ou fantasmatique, d'autres soutiennent que l'un des plus grands moments du groupe en concert, c'était en 1976 quand, pour illustrer le titre "Detroit Rock City" de l'album Destroyer qui raconte l'histoire d'un jeune rocker se viandant mortellement en voiture sur le chemin d'un concert, le groupe reproduisait sur scène un accident de voiture grandeur réelle... Accident qui n'eut jamais lieu, bien sûr...
En passant - on fait les fonds de tiroir, vous l'aurez compris - on trouvait en face B du dit single le titre "Beth", ballade hardos sur le thème rebattu du rocker-loin-de-chez-lui-qui-pense-quand-même-à-sa-femme qui fit se pâmer les jeunes fans du groupe et qu'une autre légende tenace tient pour un hommage rendu à sa meuf par Peter Criss, co-auteur du titre avec Stan Penridge... En fait, le titre date de sessions bien antérieures et même d'un autre groupe, Chelsea, dont fit partie Criss et un certain Michael Brand... C'est même la femme de ce dernier, Becky, qui appelant au téléphone son mari plusieurs fois par jour et interrompant donc à chaque fois les séances de répétition du groupe s'attira ce titre - essentiellement basé sur les conversations entre M. et Madame Brand au téléphone telles que les entendaient Criss - et, à l'origine, un peu méchant avec la dame... Quelques années plus tard, et la baguette magique du producteur Bob Ezrin par-dessus tout ça, hop, ça nous fait un hit...
Encore ? On touche au délire mais comment résister : selon des fans évidemment de confiance, Andy Gibb, le plus jeune de la fratrie des Bee Gees, bellâtre à la carrière solo insolemment populaire, se fit surprendre backstage - et/ou, selon les versions, avant une remise de prix - en train d'abuser de ses charmes auprès d'une jeune femme sans défense... Nos preux membres de KISS volèrent à la rescousse de la demoiselle en dérouillant, notez le détail, chacun son tour avec son instrument, le jeune effronté qui fut quasiment laissé pour mort...
Un peu de rab ? Au départ du batteur Criss, justement, qui quitta le groupe en 1980, c'est Paul Caravello qui prit place sur le tabouret vacant... Changeant son nom en Eric Carr, il eut bientôt la désagréable surprise de lire et entendre que le nouveau batteur de KISS était une femme... Certains journalistes avaient en effet compris "Erica" et, même corrigée, la bévue eut beaucoup de succès... Quant au guitariste Vinnie Vincent, il connut lui aussi le même sort journalistique, mais cette fois-ci bel et bien en raison de ses poses suggestives...
Allez, on finit avec la naissance de la KISS Army, cette légion de fans qui fait la gloire du groupe... Une énième lègende, bien fabriquée celle-là, est à l'origine de l'affaire... Le 2 novembre 1975, Bill Starkey - fils caché de Ringo ? - fan émérite du groupe, écoute la radio, à Terre Haute, Indiana et, précisément, WVTS... Ulcéré que la station ne passe aucun single de son groupe préféré malgré ses demandes répétées, il impose un ultimatum au DJ : soit le gars passe un titre dans la demi-heure, soit il fait une descente à la radio avec tous les fans du groupe... La menace provoqua naturellement un énorme fou rire dans les couloirs de la radio mais bientôt on aperçut, massés devant la porte de WVTS, une horde de fans du groupe... Télé, radio, presse, tous accoururent et la légende était lancée... Bon, en fait, tout ça est du pipeau, Starkey le révéla plus tard lui-même : s'il a bien demandé à WVTS, avec son pote Jay Evans d'ailleurs, de passer des titres de KISS, devant le refus de la station, il s'est en fait tourné vers une station concurrente, WPFR, qui, elle, a accepté et, forte d'un succès inattendu, a détourné les auditeurs de WVTS... Cette dernière, constatant son erreur, contacta du reste à son tour les deux fans pour récupérer son audience et convint qu'une « KISS Army Letter Of The Day » serait rédigée chaque jour par Starkey et Evans et lue à l'antenne... Plus tard, de passage à Terre Haute, KISS eut vent de l'affaire et lança officiellement le fan club... Et, ultime coda pour un groupe décidément fantasmatique, en 1995, Gene Simmons, pourtant parfaitement au courant de ce mythe, demanda à Starkey, gêné, de lui envoyer une photo de ce célèbre rassemblement de la KISS Army devant WVTS... "Quand la légende..." disait Ford...