Klaatu: Calling Occupants Of Interplanetary Craft
Sera-t-on un jour repu de la geste de ces vrais-faux albums mythiques enregistrés par de faux-vrais fameux artistes, Masked Marauders, Phantom et consorts ? Manquaient encore en tout cas à ces colonnes les intrigants Klaatu qui semèrent la panique en 1976 dans le paysage rock n' rollesque ambiant encore fraîchement veuf de ses Beatles chéris dont, à l'évidence, les Klaatu n'étaient qu'un nom d'emprunt... Joyeusement entonné de concert par les rédactions et les radios rock, puis les fans du monde entier, l'alléluia fut de courte durée mais, pendant quelques semaines, l'impensable eut lieu : les Beatles étaient reformés...
En 1976, un album au titre mystérieux en forme de clin d'œil cinématographique, Klaatu, distribué par Capitol sans aucune information sur ses musiciens, atterrit dans les bacs des disquaires... C'est un journaliste, Steve Smith, qui met le feu aux poudres dans les colonnes de l'obscur Providence Journal de Rhode Island avec un article foireusement intitulé "Could Klaatu Be The Beatles? Mystery Is A Magical Mystery Tour" qui fournissait rien moins que 150 preuves de la participation exclusive d'une partie voire de la totalité des Beatles, reformés pour l'occasion dans le plus grand secret... Dans la confusion, d'autres magazines emboîtèrent le pas à Smith - Billboard, par exemple - les radios ricaines concoctèrent de bien cyniques jingles surfant sur le malentendu - le DJ Charlie Parker sur WDRC, une radio du Connecticut, passait l'album sur les ondes en demandant à ses auditeurs "Who are Klaatu? Are the Beatles really back?" - et, naturellement, Capitol ne fit aucun commentaire... Pendant ce temps-là, les ventes décollaient furieusement...
L'évolution de la rumeur, comme toujours, est fascinante : très vite, on avança que les Beatles avaient enregistré un album à la mi-1966, à la suite de Revolver, dont les bandes furent mystérieusement perdues... L'âme en peine, les Scarabées étaient prêts à réenregistrer tout l'album mais, on le sait, Paul était à l'époque déjà mort ou c'est tout comme... D'ailleurs, son sosie remplaçant Billy Shears, à la basse sur l'album suivant, Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band est responsable de l'extraordinaire avancée musicale et harmonique du dit album, dont la rupture artistique révolutionnaire avec les précédents efforts du groupe s'expliquent mieux... Bon, Paul ressuscité peu après, la théorie bat un peu de l'aile, on en convient, mais les gars s'accrochent et vous expliquent volontiers que les bandes furent en fait retrouvées en 1975 d'où l'album Klaatu, qui peut d'ailleurs se lire quand même, insiste-t-on, comme un hommage des trois Beatles à Paul (puisqu'on vous dit que c'est un sosie depuis 1967 !) - d'où l'absence de crédits du reste... On vous sent pas convaincus, on se trompe ?
OK, en revanche, les 150 (!) preuves avancées par Smith dans son article témoignent, quant à elles, certes d'un égal délire fantasmatique mais aussi d'un peu plus d'application à la tâche... Ne partez pas, on vous les fait pas toutes mais tout de même, entre analyses (forcément positives) d'échantillons de voix (comme pour le consternant Phantom de Morrison) par l'Université de Miami, bandes inversées évidemment incontestables, et les signes envoyés par Ringo par pochette interposée, il y a de quoi se régaler...
Sur l'absence de crédits, tout d'abord : aucune information, donc, à l'évidence, la preuve que l'album est dû aux Fab Four... Un brin rapide, la démonstration ? On argua que, à l'instar de Led Zeppelin sur leur quatrième album sans nom (et d'autres avant eux, d'ailleurs), les Beatles souhaitaient éviter toute publicité pour être jugé sur la seule base de leur disque... Au reste, musicalement, les voix évoquaient effectivement celles de Paul McCartney et de John Lennon, le jeu de basse celui du premier, de piano du second... Et puis, les indices sont légion : au début du titre "Calling Occupants Of Interplanetary Craft", n'entend-on pas des scarabées - et tant pis si, pour beaucoup, ce sont plutôt des criquets voire des oiseaux, parce que le bruit des scarabées, bon... Un autre titre, "Sub-Rosa Subway" est, de toute évidence, une chute de studio de Red Rose Speedway, l'album solo de Paulo en 1973... Sur le dos de la pochette, deux planètes colorées ? Allusion à peine voilée au Venus and Mars du même Macca, sorti en 1975... Et puis la pochette de l'album inclut aussi la représentation d'un soleil, tiens, et les Beatles, sur leur dernier album Abbey Road - initiales AR, soit à l'envers RA, dieu du Soleil, gotcha ah ah ! - , chantaient un hymne au "Sun King" (et peu importe que Lennon voulût rendre hommage à Peter Green, ne mélangeons pas tout..)... Par ailleurs, les mentions légales concernant les titres de l'album indiquaient que celui-ci relevait de la juridiction canadienne... Or, on sait qu'à l'époque, Lennon, harcelé par le FBI et le service d'immigration des States, avait promis de s'installer dans l'Ontario...
Et ce nom, au fait ? Les cinéphiles auront reconnu le célèbre extra-terrestre du cultissime B-Movie The Day The Earth Stood Still (Le jour où la Terre s'arrêta, 1951, en v.f.)... Et, tenez-vous bien, la liaison avec les Scarabées est instantanée : sur la pochette de son album Goodnight Vienna en 1974, qui retrouve-t-on aux côtés de fameux drummer liverpudlien ? Klaatu himself, bien sûr, salué comme il se doit par Ringo sortant d'un vaisseau spatial... Poussant le concept marketo-nébuleux plus loin, la maison de disque du batteur le plus sympa du monde fit même circuler une pub reprenant le célèbre cri "Klaatu barada niktu!" par lequel le gentil alien ordonne à son robot Gort de ne plus maltraiter les gens...
Des voix finirent quand même par s'élever contre la supercherie, New Musical Express en tête, qui publia un article vicieux sous le titre "Deaf idiot journalist starts Beatle rumour" que Smith prit, on l'espère, comme un hommage... Un article de source inconnue, devenu culte, s'insurgea même contre cette publicité honteuse - mais rectifia le tir en se vautrant, bien contre son gré, dans un tapis d'inepties terrassantes : Klaatu, qui n'a de toute évidence aucun rapport avec les Fab Four, y devenait un quintet de rock progressif canadien (anciennement Neutrino), formé de Goose Grahm, un cousin de Lennon, Andy Mills, John Spear, John Tatum et Edward Satriano... Toutes informations hallucinées méchamment fausses, enrichies d'ailleurs d'autres tout aussi comiques : co-produit par Lennon, qui y jouerait quelques parties de guitare et se fendrait de quelques chœurs discrets sur trois titres, l'album mentionnerait, au gré des chansons, toutes les planètes sauf Vénus et Mars (clin d'œil excessif à Paulo quand, en fait, seule la Terre apparaît dans les lyrics)...
Comment la (vraie) vérité (vraiment vraie) fut-elle enfin rétablie ? Mentionnons tout d'abord que, passée l'hystérie marchande collective, les vrais musiciens de l'album se manifestèrent et opposèrent sans trop d'effort un démenti maison qui n'eut malheureusement les faveurs que de rares oreilles attentives... On dit surtout qu'un directeur artistique d'une station de radio de Washington, intrigué, se rendit à la Library of Congress un midi et cherchant les copyrights du titre "Sub-Rosa Subway" y découvrit les noms des musiciens de Klaatu : Terry Draper, John Woloschock et Dee Long... Il fallait bien ça. L'album qui s'était vendu à 300 000 exemplaires les huit premières semaines continua un temps à partir comme des petits pains puis, dans un revers de bâton prévisible mais bien rude quand même, le groupe fut violemment voué aux gémonies et, malgré une opiniâtreté exemplaire (quatre autres albums), fut dissous en 1981... Une petite reformation en 1998 mais l'aventure était belle et bien finie depuis 1977, au grand désespoir du trio canadien, complètement dépassé par une rumeur que même son manager n'aurait jamais pensé à lancer... Ex-leader du groupe, Draper n'en revient toujours pas : "When the Beatles rumor came out, we should've just stood up and said, 'Hey, we're not the Beatles. We're three losers from Toronto. Get over it.' Instead we let that rumor ride and watched the sales climb. In retrospect if we just stood up and said, 'No, we're not the Beatles, but thanks a lot anyway and here we are' and then maybe hit the road? That's the biggest regret: that we didn't stand up and say who we were"...