Led Zeppelin & Friends: Dancing Days
Alors on pourrait certes s'embarquer dans un listing de toutes les chansons hard faisant rimer "fire" avec "desire" ou vous dire tout le bien qu'on pense de Charlie Winston - un mensonge éhonté destiné à accroître vicieusement le référencement de ces colonnes - ou encore lancer qu'on ne dit pas assez que tout Iron Maiden est dans l'album Heaven And Hell de Black Sabbath dès 1980 mais on va s'en tenir à du plus consistant et poursuivre notre exploration des lieux mythiques du rock, après nos visites d'un fameux château et de certaine capitale insulaire... Aujourd'hui, c'est à Stargroves, propriété de Mick Jagger transformée en studio, qu'on va s'attacher avec, en compagnon de route, le fameux matos itinérant Rolling Stones Mobile Studio avec lequel son histoire se confond partiellement, au risque de la confusion jusque dans les ouvrages rock les plus sérieux d'ailleurs... Bob Marley, Led Zeppelin, les Stones bien sûr, Rod Stewart, les Who, Iron Maiden (vous ici ?) et d'autres encore : ils y sont, bien sûr, mais on fait un peu le ménage... Et, oui, on croise Nana Mouskouri...
Stargroves : quartiers généraux d'un Oliver Cromwell qui y fit une halte après la seconde bataille de Newbury le 27 octobre 1644, soit 20 ans avant la célèbre bière (mais on s'égare), le domaine doit aujourd'hui l'essentiel de sa réputation au fait que Sir Mick Jagger en devient l'avisé propriétaire au début des seventies et transforma le lieu en studio d'appoint plutôt bien achalandé... Très vite, les poids lourds du rock s'y pressèrent d'ailleurs, aux premiers rangs desquels Led Zeppelin autour duquel on peine à ne pas graviter dans ces colonnes... Jimmy Page se fit difficilement convaincre par son ingé son Andy Johns trouvant que Jagger avait un peu la main lourde niveau facturation... On en sait foutrement rien mais les négociations entre Jagger le Manager promo HEC et Jimmy "Led Wallet" qui ne lâchait qu'à regret une livre sterling durent en tous les cas être savoureuses... Toujours est-il que Led Zeppelin finit par établir son campement à Stargroves pour y enregistrer une grande partie des titres de Houses Of The Holy et de Physical Graffiti... On parle de "The Song Remains The Same", "The Rover", "No Quarter", là, ces choses... Des photos splendides des quatre Anglais improvisant une gigue sur la pelouse de la propriété au son d'un "Dancing Days" tout frais, juste motif de fierté, attestent d'ailleurs des vertus inspiratrices du domaine mais aussi de cette joie, assez unique et si propre au Dirigeable, de jouer... La version au Madison Square Garden, disponible en DVD, enfonce le clou : Led Zep, le seul groupe à prendre son pied sur scène ?
Back to Stargroves - on va nous accuser de zeppelinophilie aiguë - avant Led Zeppelin, il y eut, on s'en doute, les Stones eux-mêmes pour goûter aux lieux - le génial Jimmy Miller adaptant à chaque fois sa production aux lieux, tirant parti ici du son évidemment "naturel" de la propriété, après le son cristallin des studios Olympic et en attendant le son, disons exigeant, de Nellcote - avec des enregistrements éparpillés, comme à leur habitude, sur plusieurs albums : Sticky Fingers, Exile On Main Street et It's Only Rock 'n Roll... Miller s'en souvient avec affection lui aussi : "The house that we used, Stargroves, was ideally suited because it was a big mansion and a kind of grand hall with a gallery around with bedroom doors and a staircase. Big fireplace, big bay window - you could put Charlie in the bay window. And, off the main hall there were other rooms you could put people in. We did stuff like "Bitch" there, and you can hear "Moonlight Mile" when Mick is singing with the acoustic, it sounds very live, because it was! 4 or 5 i n the morning, with the sun about to come up, getting takes."
Les Who eux aussi y firent un gros bout d'histoire rock, l'atmosphère du lieu se prêtant décidément aux coups de génie : un peu sonnée en ce début des années 1970 qui la voyait au coude-à-coude avec les Stones et le Zep (les Beatles hors de course), la bande à Townshend voulait briser le carcan rock (un énième, en tout cas) et envisagea d'enregistrer ce qui allait devenir Who's Next au Young Vic, une petite salle du South Bank gentiment pourrie... Là encore, c'est Andy Johns, super commercial de Jagger, qui poussa Townshend et ses potes à venir camper à Stargroves...
Le résultat, on le sait, fut exceptionnel puisque c'est de ces sessions que sortit le "Won't Get Fooled Again", tenté peu avant lors de sessions new-yorkaises désastreuses et passablement alcoolisées : enregistré comme une démo, la version Stargroves partit directement dans la boîte - dit la légende, en tout cas - sans même qu'on ait besoin de tout retripatouiller de retour aux studios Olympics comme on s'y attendait... Le mystère reste toutefois entier : c'est en s'établissant dans un manoir british à souhait que les Who déclenchèrent leur album au son le plus ricain...
Et puis, à Stargroves, il y eut aussi, nous assène-t-on en boucles sans prendre toujours le temps de vérifier, Iron Maiden, Deep Purple ou Bob Marley, ou encore Santana et puis d'autres, tiens Lou Reed et Fleetwood Mac et puis les Faces... mais là, c'est moins l'histoire de Stargroves - où peu, finalement, mirent les pieds - que du Rolling Stone Mobile qui est concernée...
Le Rolling Stone Mobile ? Comme son nom l'indique, un studio mobile - un camion en fait - qui allait révolutionner l'enregistrement rock puisque celui-ci devenait virtuellement possible n'importe où, pour peu qu'on puisse garer le camion et faire passer les câbles... L'idée géniale de ce Rolling Stones Mobile Studio viendrait d'ailleurs du pragmatique Ian Stewart - le pianiste des Stones qui avait sa dose d'expérience de roadie - et bénéficia du concours de Glyn Johns, oui, le grand frère d'Andy, tout se recoupe... Le concert hommage à Brian Jones à Hyde Park fut ainsi enregistré avec le truck des Stones puis, bientôt, c'est tout le gratin rock anglais et américain qui comprit la révolution... Faut-il vraiment rappeler que Deep Purple le mentionne même dans son célèbre "Smoke On The Water", citant au passage Zappa, féroce utilisateur de l'équipement stonien, dans l'immortel "We all came out to Montreux... to make records with a mobile" ?
Et Nana Mouskouri ? Non elle ne vint pas à Stargrove ; oui, elle utilisa le Rolling Stone Mobile Studio (qui fit d'ailleurs même le voyage jusqu'en URSS à la fin des seventies pour enregistrer Gayaneh, un ballet d'Aram Khatchatourian) pour son mémorable concert de retour à l'Acropole qui est dans tous les esprits - et dont on dit que c'est une des prestations live préférées de notre blog confrère (feu) "World Of Soul" mais nous ne sacrifierons pas aux piques mesquines bloguesques, qui plus est à l'endroit d'un ami de trente ans... Quant à Stargroves, la suite fut, comme souvent, beaucoup moins culte : revente, récupération, etc., on lâche le clavier, là... Ah si, quelques ultimes infos : dans l'intervalle, la propriété a été cédée à Rod Stewart - pour 2,5 millions de £ à rapporter aux 55 000 originellement déboursées par Jagger... - qu'un énième divorce hâta à son tour de faire ses valises...
Pour notre part, et pour en revenir, au hasard, à Led Zeppelin, l'esprit Stargroves se trouve dans une poignée de photos, dont quelques-unes illustrent la présente note, de Page, Plant, Jones et Bonham capturés par Eddie Kramer, et puis dans ce début de "Black Country Woman" sur Physical Graffiti, enregistré dans le jardin, un avion qui passe juste au moment où Page et Plant s'apprêtent à graver un nouveau bijou... "Shall we roll it Jimmy?", demande Eddie, très pro, ajoutant "Don't want to get this airplane on", et la réponse éraillée de Robert Plant, "Nah, leave it, yeah"...