Megadeth: Architect Of Aggression
Touchante tête de lard que notre valeureux Dave Mustaine, sorti - presque - vainqueur, il y a dix-sept ans déjà, des entrailles d'un enfer personnel pourtant patiemment construit à force de hargne auto-destructrice... Le bout du tunnel ? En 1990, bien sûr quand le talent unique de l'enragé rouquin, dépoudré et presque réconcilié avec lui-même, s'épanouit enfin dans un sublime Rust In Peace encore insurpassé, oui, même en face... La suite, parfois plus ronronnante, réserve certes moins de surprises aux thrashophiles mais il n'est pas dit que le destin artistique et personnel de notre grand tourmenté ne soit pas préférable aux errances bourgeoises dinosauresques de qui-vous-savez... Filigrane insoupçonné de cette longue, douloureuse et riche discographie, qui court des infernales proto-eighties à la renaissance, la fascination appliquée de Dave pour, tenez-vous bien, les arts martiaux dont on sait combien, de Glenn Danzig à Joan Baez en passant par David Lee Roth, ils ont partie liée avec le rock... Plus qu'une marotte royale, cette studieuse passion, pour qui veut vraiment comprendre Megadeth et son leader, ne saurait être passée sous silence plus longtemps et ça tombe bien, c'est le sujet de la semaine... Où l'on croise Hetfield, Muir, Scott, Araya et même Benny "The Jet" et bien sûr, le fameux Clash des Titans, rencontre au sommet entre deux fighters qui fit trembler la planète d'interminables semaines...
Dave et les arts martiaux ? Il vous expliquera lui-même - dans ses bons jours, disons - que la faute en revient au divorce forcément douloureux de ses parents qui l'ont laissé, dès l'âge de sept ans, entre les mains douteuses d'une belle-famille pas très conciliante où torgnoles, mandales et ramponeaux étaient généreusement servis à tous les repas... Traumatique et curieux incident confié par Mustaine : tout à sa rébellion adolescente, le fougueux délinquant macérait sa haine dans sa chambre au son du Sad Wings Of Destiny de Judas Priest quand son beau-frère fit irruption dans la pièce et, allergique au hard alors poussif et encore mal dégrossi du groupe de Halford, essaya d'en coller une au jeune dévoyé... C'était compter sans l'expertise martiale de Dave qui, dans la seule version de l'incident qu'on connaisse - à savoir la sienne -, adopta sur-le-champ une position de défense japonaise sans que l'on saisisse bien si, et comment, cette habile manœuvre lui permit d'éviter une dérouillée...
Enfant dépressif, de son propre aveu, le jeune Dave passa ainsi l'essentiel de sa jeunesse troublée à chercher les noises et, devine-t-on dans les récits de l'intéressé pudiquement révisés, à se faire dérouiller... Bon gars, il sut aussi se faire protecteur et n'aime rien tant qu'à raconter sa première rencontre avec son (faux-)frère Dave "Junior" Ellefson, futur bassiste de Megadeth fraîchement débarqué dans le coin, que Dave prit sous son aile... Visant le jeune Ellefson malmené sur un parking par deux toquards qui lui écrasaient ludiquement une pizza sur la gueule, Dave, pas masqué mais justicier quand même, gratifia les deux agresseurs d'une attaque dite de la mante religieuse qui, si on l'en croit, mit en déroute les deux petites frappes...
Naturellement, les mythiques débuts au sein de Metallica, avant l'Historique Expulsion, fournissent, eux aussi, leur part d'anecdotes à la geste martiale de Mustaine... Singulièrement, James Hetfield, guitariste (frère) ennemi de Dave, en prend pour son grade dans la version évidemment objective qu'en livre notre chouchou qui, par ailleurs, n'hésite pas à nous révéler en exclusivité les secrets diététiques de son efficacité martiale : "James and I were in San Francisco next to the Mabuhay Gardens, and this girl ran out of the alleyway and her nose was all bloody - some guy had punched her in the face. So me and James went down the alleyway and James was going 'kill 'em, kill 'em' and this guy that had hit her was fuckin' bombed on alcohol and he goes 'who said that?' James goes 'I didn't say it,' and I was the only other guy in there - so the guy thought I did it. He got in my face, I drilled him, dropped him to the ground and rabbit punched his head until somebody pulled me off of him and stood me upright. And I'm as quick with my feet as I am with my hands and I just kicked him in the head a bunch of times, and they took him away in a cop car. That was under the influence of alcohol..."
Jusqu'à l'ébouriffant Rust In Peace, illuminé par les fulgurances inouïes, à mille lieux des shredderies pré-fabriquées de ses confrères, d'un Marty Friedman habité par le génie hendrixien d'Uli Jon Roth, Mustaine n'oublia donc jamais les arts martiaux, entre deux shoots ou rasades s'entend, et se frotta aussi bien au tae kwon do qu'au karaté ou au kung-fu, version de la mante religieuse, si vous avez bien suivi... Au kick-boxing aussi, sous la férule de l'inquiétant Benny "The Jet" Urquidez, chantre de la discipline aux States, champion invaincu et un peu terreur vivante aussi...
En 1990, Mustaine est donc au top de sa forme mais, comme assagi, il se ferait pour un peu l'apôtre de la non-violence, dans ses interviews du moins... C'est aussi la période où il se passionne pour une espèce de sexe stingo-tantrique mais aussi le parachute, sans qu'on ait été capable de déterminer les possibles liens de cause à effet entre ces deux acrobatiques hobbies...
Bref, c'est dans ces rassurantes dispositions que Mustaine aborda l'événement de ce mois de septembre 1990, le célèbre "Clash Of The Titans", tournée commune des monstres du thrash et assimilés, comme on sait... En tête d'affiche, outre Megadeth instigateur de la tournée, Slayer, hautement respecté par Dave et, en seconds couteaux prestigieux, Testament et les trop peu célébrés Suicidal Tendencies... Coupable hiérarchie qui, on s'en doute, généra vite rancœurs et rancunes... Pour rappel, Dave, lui, a de longue date un avis tranché sur la déjà longue histoire du thrash : à la célèbre tétralogie fondatrice "Slayer, Anthrax, Metallica et Megadeth", garante du meilleur métal eighties vintage, Dave oppose un classement personnel légèrement remanié dont est ejecté fissa la bande à Scott Ian au profit d'un brillant outsider : "The big four was never Anthrax. It was Exodus, Metallica, Slayer and us. Anthrax just got lucky. You fuckin' find five little kids funning around in half pajamas with stickers on their guitars saying not: that's when I'm out of there! [...] Exodus are a much better band - I really like Exodus. Gary Holt and Rick Hunolt are really great guitar players. I like Scott Ian, but anyone else in that band kind of bores me. Having a disco thing is not what I think having a metal band is all about, and that guy had the audacity to say that he and I should together! I felt like saying what are you planning to do? Open a disco fashion shop?" C'est dire si les petits jeunots de Testament et Suicidal Tendencies l'impressionnent...
Pour que la fête soit complète, le speed-skate-thrash de ces derniers alors, eux aussi, au sommet (Lights Camera Revolution), et bien... Dave avoue maladroitement à la presse, quelques jours avant la tournée, que c'est pas vraiment sa tasse de thé et qu'il les sent pas trop, les gars : "That might not get. It's been indicative to us that they might not be as serious as we require for this tour. The tour's going to be very concise. We don't want any one that's not equivalent to Megadeth in terms of professionalism. We have to be sure t hat we have someone who's not going to fuck the show up, who's not going to be late, who's not going to jeopardize the time available to the stronger acts that are to follow"... Sympa l'ambiance, non ? Difficilement évitable, si on se rappelle les querelles anglo-américaines de l'Ozzfest, tout aussi conviviale...
Enfin lancé sur les routes européennes en septembre - le mois suivant aux States - le Clash Of The Titans attire les foules mais très vite, Suicidal Tendencies et Testament se plaignent d'un son pourri et accusent à mi-mots les têtes d'affiche du traditionnel bizutage en règle... Ellefson, notre bassiste Junior, s'en défend, arguant que, bien que Slayer and Megadeth soient, effectivement et fort logiquement, les headliners, il n'a évidemment jamais été envisagé, même pour rire, qu'ils fassent subir à leurs poulains ce qu'eux-mêmes ont pu subir quelques années auparavant... Pas convaincus, Mike Muir, leader de Suicidal Tendencies, confie aux lecteurs de Melody Maker que Mustaine a tenté de les évincer de la tournée et envoie un petit scud en précisant que selon ses informations le dit Mustaine réside encore au "Betty Ford center", centre de réhab' bien connu... En croisant les interviews, on comprend surtout que l'organisation de la chose fut colossale et que les gars de Suicidal Tendencies sont une bande de branleurs, sympathiques mais pas vraiment en surchauffe niveau coup de main... Mustaine rappelle en outre, avec une objectivité certes contestable, que tout le crédit de la tournée revient au manager de Megadeth, Ron Laffitteis et non à celui de Slayer comme le relaient alors les journalistes... Tom Araya, leader de Slayer, qu'on retrouvera bourré dans les rues barcelonaises, bras-dessus bras-dessous avec Mike Muir à la faveur d'une date espagnole, se fend alors d'une amicale remise en cause de la sexualité de Mustaine mais tout ça reste bon enfant... Le problème, c'est ni Slayer ni Testament, mais tient en un mot cher au reborn Dave : "professionnalism"... Et il semble donc avéré que certaine bande de californiens bronzés à bandanas en foute pas une et se comporte comme des "whining little kids", insiste Mustaine...
Un Clash Of The Egos, en somme ? En tout cas, les arts martiaux - on s'en tient à notre sujet, vous avez noté - refont leur apparition avec un parfait timing : Mustaine et Muir en viennent à se défier dans une joute qu'on aurait tort de croire picrocholine alors que l'avenir du thrash mondial y était de toute évidence engagé... Les deux gars, par voie de presse interposée, se souhaitent ainsi mutuellement les meilleurs bourre-pifs... Bon, à vue de nez, précisément, on aurait donné l'avantage à Muir, colosse skateur body-buildé élevé dans la rue plutôt qu'au teigneux Mustaine, fin technicien martial mais pas forcément le roi du ring... Muir, dans une déclaration mâle qui fit les délices de la presse métal à l'époque, rajouta d'ailleurs une généreuse louche d'huile sur le feu : "Let's fuckin' throw up a boxing match, y'know? He's a kick boxer, I'm a street fighter, we'll throw on some gloves, that'll make it fair. We'll box it out right on the stage. There's a lot of people who'd like to see Dave Mustaine get his butt kicked, 'cause Lord knows Mike Muir ain't goin' down. I'll fuck him up... I'd dazzle him, left'n'right [punches the air]. I wanna see a little blood, y'know what I'm sayin'?"
Mustaine, pétri de sagesse asiatique mais la haine au bide quand même, se plaint lui aussi d'ailleurs avoir été arnaqué niveau lumières, son et même repas et confirme qu'il veut en découdre avec Mike Muir right here right now - puis, curieusement, calme le jeu, peut-être après avoir apprécié plus sobrement le tour de pectoraux et les biceps du colosse de Venice Beach qui n'aimait rien tant qu'à jouer du poing, y compris sur scène, dans ses jeunes années... Faut-il préciser à nos fiévreux lecteurs que le combat n'eut jamais lieu ? Et en mai 1991, c'est... Anthrax qu'on retrouvera dans une nouvelle version du Clash Of The Titans, aux côtés d'un Mustaine contre toute attente apaisé...
Totalement inoffensif alors, notre Dave, aujourd'hui ? Qu'on se détrompe : lui-même, conscient de l'effroyable menace que sa toute-puissance martiale fait peser sur le monde, tient à rassurer : "As bad as I could possibly be, I cannot stop a bullet. I could catch the arm, but not the blade - the blade will catch me. In as much as people think I'm immortal and that I'm made of fuckin' metal - I'm flesh and blood and I will bleed. "