Pink Floyd: Brain Damage
Bien avant The Police, s'en étonnera-t-on, la synchronicité fit les beaux jours du rock... "Synchronicité" ? Mais si, impossible que vous soyez passé à côté : cette légende urbaine qui veut que certains albums rock soit pile synchros avec d'improbables films... Alors, oui, le terme n'est pas pris dans son sens le plus strict et, par ailleurs, William Burroughs lui-même s'amusait déjà en son temps à combiner arbitrairement bobines de films et sons piochés au hasard mais ne dégonflons pas tout de suite la baudruche et, sans chichis, attaquons-nous à ce pan de moins en moins méconnu du rock...
Si ces audacieuses associations films-albums sont légions, on va, vous vous en doutez, naturellement s'attacher aujourd'hui au plus fameux d'entre eux, le Dark Side Of The Moon de Pink Floyd qui serait ainsi scrupuleusement calé sur Le Magicien d'Oz (1939) de Victor Fleming... Ce Dark Side Of The Rainbow, comme on a coutume d'appeler le curieux hybride obtenu - connu aussi sous les noms moins répandus de Dark Side Of Oz et de "The Wizard Of Floyd" est évidemment aussi peu troublant que les trop célèbres coïncidences entre les assassinats de Lincoln et JFK - ou aussi convaincant que le rapport sur la commission Warren, si vous voulez - mais ne boudons pas notre plaisir et en route pour le côté obscur de l'arc-en-ciel, avec Dorothy, Roger, David, Rick et Nick et puis tout le toutim des fées, sorcières, épouvantails qui parlent et puis un homme-de-fer-blanc (et un lion froussard, ok)...
Ce Dark Side Of The Rainbow, qui fait évidemment référence au célèbre titre "Over The Rainbow" entonné, pour l'éternité ou presque, dans le film par une Judy Garland pas encore ravagée, repose sur un principe bien simple : lancer simultanément la VHS (no DVD, guys, sorry) du film de Fleming et le LP floydien Dark Side Of The Moon pour en apprécier la complémentarité prétendument voulue... Bien sûr, d'emblée, un problème : on nous assure que le disque doit être joué au moment précis où le lion fatigué de la MGM pousse son troisième rugissement mais, outre le fait que pour certains c'est au premier rugissement qu'il faut enclencher la chose, les durées variables des copies du film, sans compter les vitesses de lecture tout aussi variables, jettent un gros doute sur la rigueur même de la chose... Ces broutilles épistémologiques n'ont pas empêché les fans de lister plus d'une centaine de coïncidences entre le film et l'album, dont au moins deux ou trois, à défaut d'être pertinentes, sont presque indéniables... Consonance positive, vous dites ?
Pas de panique, on vous épargne le fastidieux listing, qui s'enrichit d'ailleurs régulièrement de nouvelles trouvailles à mesure que l'affaire, lancée sur un groupe usenet (post-Minitel, quoi) en 1994 puis reprise à la radio nationale par un DJ de Boston, George Taylor Morris, et enfin curieusement entérinée par la chaîne câblée Turner Classic Movies qui diffusa la première le combo, prend de l'ampleur mais retenons deux ou trois choses, pour vous donner la teneur de la chose... On commence : à la fin de "On The Run", un bruit de tonnerre... et que voit-on simultanément à l'écran ? Un plan du ciel... Dingue, non ? Tiens, juste après, on entend des clochettes au début de "Time", au moment même où la sorcière arrive à vélo... Encore plus saisissant : Dorothy se met à courir pile sur les paroles "no one told you when to run"... Et quand elle quitte la diseuse de bonne aventure pour revenir dans sa ferme, on entend quoi ? "home... home again" ! De quoi verser dans le meyssanisme le plus absolu, non ?
Et le film qui bascule en couleurs juste-pile-exactement au moment où "Money" commence, c'est pas le signe que, euh, y a plus d'argent à l'écran ? Et puis, tiens, quand l'épouvantail se met à chanter "If I Only Had A Brain", c'est bien sûr "Brain Damage" qui sort des enceintes... Pour une raison ou une autre, c'est à la toute fin que, selon nous en tout cas, on touche au plus fascinant puisque Dorothy place son oreille sur la poitrine du Tin Man et que, hi hi, sourdent des enceintes les fameux battements de cœur finaux de l'album floydien...
On vous voit venir : et comment on fait à la fin de l'album qui ne dure que quelques 43 minutes ? Là encore, les avis divergent : soit vous enchaînez en boucle l'album, pour un total de deux lectures et demi, soit vous mettez dans la foulée et bout à bout Animals puis Meddle de nos prog-rockers pastoraux de Cantorbéry ou encore seulement The Division Bell... Et si vous voulez des instructions plus précises, et n'avez rien contre les noms ridicules, allez jeter une oreille chez le reggae group Easy Star All-Stars (oui...) qui se charge de vous en donner quelques-unes dans son Dub Side Of The Moon...
Bon, évidemment, tout ça tient du syndrome du déjà-vu torpillé de disonance cognitive... Les coïncidences sont fantasmées par les auditeurs et, pour un peu, avec le soutien d'une bonne bouteille de pif, on trouverait n'importe quelle corrélation entre film et album, allez tiens, Appetite For Destruction et Police Fédérale Los Angeles ou même Led Zeppelin IV et Amélie Poulain... D'ailleurs, believe it or not, au moment même de la rédaction de cette chronique, la radio passe "Cabaret" de Liza Minelli, fille de... Bref, on s'est compris...
Certains fans hardcores (de quoi, d'ailleurs ?) ne se sont pas arrêtés à de telles considérations mesquines puisqu'à la démonstration historique des accointances Floyd-Oz, se sont ajoutées diverses associations comme le "Darkest City" - soit la daube Dark City d'Alex Proyas (1998) sur la bande-son de, au choix, Ummagumma du Floyd (encore, oui) mais aussi de Cyclone de Tangerine Dream, de Tubular Bells (II et III !) de Mike Oldfield, de Remain In Light des Talking Heads, de Magical Mystery Tour et de Abbey Road des Beatles, de Lift Your Skinny Fists Like Antennas To Heaven de Godspeed You Black Emperor (plus facile, la dimension cinématographique étant déjà présente) et même, aïe, de Memory Of Trees d'Enya... C'est pas tout, on trouve aussi The Nine Inch Ring, soit l'alliance de The Ring (2002) et The Fragile Halo 14 de Nine Inch Nails...
Et si vraiment votre came, c'est le Magicien d'Oz mais que Pink Floyd, c'est pas votre truc, sachez que c'est censé aussi fonctionner avec The Fat Of The Land de Prodigy... Singulièrement, pas (encore ?) de parallèle avec le Reign In Blood de Slayer... On pourrait vous parler aussi du Turkish Wizard Of Oz mais on commence à avoir un petit coup de pompe, là, et puis c'est bientôt l'apéro...
L'œuvre du groupe Pink Floyd lui-même, probablement parce que jamais en reste niveau expérimentations, a par ailleurs été l'objet d'autres rapprochements comme le un brin moins fameux Jupiter And Beyond The Infinite qui opérait un collage cinémato-rock de la troisième séquence du 2001 de Stanley Kubrick (1969) avec le "Echoes" du Meddle du Floyd... Si "échos" il y a, ce sont probablement davantage ceux de la mythique collaboration manquée entre Waters et Kubrick sur le dit film... Sinon, en vrac, vous pouvez essayer de passer Wish You Were Here ou The Wall en bande-son respective du Blade Runner de Ridley Scott (version originale de 1982 tronçonnée) ou de Retour vers le futur II... Y en a d'autres, l'explosion des séries télévisées de dernière génération ayant revigoré le genre...
Et les intéressés, ils en disent quoi ? Tous ont nié dans un grand éclat de rire, bien sûr, à commencer par Alan Parsons, le fameux ingé-son de Dark Side Of The Moon avec cet argument irréfutable : « There simply wasn't mechanics to do it. We had no means of playing videotapes in the room at all. I don't think VHS had come along by '72, had it? »... Joyeux drille comme à l'accoutumée, Nick Mason a précisé tout en British tongue-in-cheek : « It's absolute nonsense, it has nothing to do with The Wizard Of Oz. It was all based on The Sound Of Music... »