Robert Johnson & Friends: Hellhound On My Trail
L'immortalité triomphante d'un légendaire quintet vintage - Mick, Keith, Iggy, Lou et David - littéralement revenu d'entre les morts ne saurait escamoter une incontournable étape de la geste rock n' rollesque, jusqu'ici partiellement abordée en ces colonnes de bon goût : nos rockers meurent, beaucoup, souvent jeunes, et rarement dans leur lit (ni même, curieusement, dans celui de groupies offertes à de giclants soli avinés terminaux comme le voudrait une légende pour le, hmm, coup très fantasmatique). Sous la pression populaire, on se lance donc aujourd'hui dans un tour d'horizon, trop longtemps repoussé et nécessairement incomplet, du cassage de pipe de nos idoles - ou pas -, le tout sous le patronage arbitraire de Robert Johnson, compléments et commentaires bienvenus... Et rappelons-le : on meurt toujours d'un arrêt du coeur...
Si on en s'en tiendra ici à nos chers rock n' rollers, mentionnons d'emblée le formidable travail de défrichage entrepris par leurs aïeuls directs, les si souvent infortunés bluesmen : de Sonny Boy Williamson, crâne fracturé à sa sortie d'un concert au Plantation Club à Chicago en 1948 ou Little Walter, habitué du coup de poing imbibé qui fut tabassé à mort 20 ans plus tard, à Luther Perkins, guitariste de Johnny Cash, qui piqua un roupillon fatal, clope au bec (et donc draps en flamme), de Jimmy Reed, pochtron notoire aux problèmes respiratoires fatals, à Johnny Ace, victime d'une roulette russe tragique improvisée backstage à la Noël 1954, de Blind Lemon Jefferson, mort congelé dans sa voiture, à Robert Johnson, empoisonné par un mari jaloux dans le bouge Three Forks, en bordure de Greenwood, Mississippi, les bluesmen, là encore, pavèrent la voie aux rockers en manière d'excès finaux...
Non que ceux-ci restassent scrupuleusement attachés à ces modèles vite devenus légendaires : très tôt, les rockers rivalisèrent d'ingéniosité et de créativité et s'inventèrent des fins sublimes, ridicules ou poignantes... Souvent, la mécanique s'en mêla furieusement : accident de voiture - Eddie Cochran perdit la vie près de Chippenham, Wiltshire, dans un accident de taxi dont réchappa miraculeusement le déjà bien amoché Gene Vincent ; Stiv Bators des Dead Boys, renversé par une voiture en juin 1990, tenta d'ignorer ses blessures dont il mourut cependant des suites quelques heures plus tard dans son sommeil ; Marc Bolan finit broyé dans sa voiture qui, conduite distraitement par sa femme Gloria Jones, percuta un arbre du Barnes Common, à Londres ; le 27 Septembre 1986, Cliff Burton, irremplaçable bassiste de Metallica, assoupi à l'arrière du bus de tournée, périt écrasé dans les tôles froissées du véhicule surpris par le redoutable verglas d'une petite route suédoise ; Razzle de Hanoi Rocks, accidenté par un Vince Neil de Mötley Crüe ivre mort, ne survécut pas à ses blessures ; enfin d'autres, aux destinées moins flamboyantes, comme Rushton Moreve de Steppenwolf, Chris Bell de Big Star, Tommy Caldwell du Marshall Tucker Band ou Keith Godchaux du Grateful Dead, durent également leur fin à de vicieuses automobiles -, accident de moto - on connaît les destinées tragiques de Duane Allman et Berry Oakley des Allman Brothers, morts d'un accident de cheval mécanique respectivement les 29 octobre 1971 et 11 Novembre 1972 au même endroit à quelques mètres près ; Greg Arama, bassiste des Amboy Dukes, connut le même triste sort - et, plus mythique encore peut-être, crash d'avion - on a déjà parlé du fameux "Day The Music Died" qui coûta la vie à Buddy Holly, Ritchie Valens, Big Bopper et leurs musiciens le 3 février 1959 ; comme nul n'en ignore, dix-huit ans plus tard, le 20 Octobre 1977, les valeureux Lynyrd Skynyrd Ronnie Van Zant, Steve Gaines, Cassie Gaines et leur manager Dean Kilpatrick se crashèrent à bord d'un coucou sudiste dans les marais de Gillsburg alors qu'ils se rendaient à Baton Rouge (les guitaristes Allen Collins et Gary Rossington, le bassiste Leon Wilkeson et le pianiste Billy Powell eurent miraculeusement la vie sauve).
... toujours là ?
On continue. Les altitudes motorisées furent d'ailleurs bien souvent cruelles avec nos idoles puisque leurs caprices - souvent favorisés par des défaillances bien humaines - emportèrent aussi, outre le chanteur de rock et country Rick Nelson en 1985, le vénéré guitariste de Ozzy Osbourne Randy Rhoads qui, embringué dans un baptême de l'air impromptu par un pote du chauffeur de son bus, remit son destin entre les mains d'un pilote complètement cocaïné qui entreprit de poser son engin sur le toit du dit bus et, le précisera-t-on, loupa méchamment... Plus rare, l'hélicoptère se montre du coup revanchard et comme sélectif : celui qui emmenait Stevie Ray Vaughan un matin du 27 août 1990 à Chicago perdit son combat contre les brumes et s'écrasa contre une colline, nous privant du guitariste de blues le plus inspiré des trente dernières années...
Tout aussi récurrentes, même si plus improbables, les eaux le disputent aux airs quand il s'agit d'ôter la vie à nos malheureux rockers : le prince du rockabilly Johnny Burnette, leader du fameux Rock And Roll Trio, tomba de son bateau de pêche en 1964 et se noya ; le Rolling Stones déchu Brian Jones fut retrouvé mort, noyé si on en croit la thèse officielle, dans une piscine d'une propriété du Sussex ; le vrai-faux surfeur Dennis Wilson des Beach Boys effectua quant à lui un plongeon fatal de son yacht qui mouillait au port californien de Marina Del Ray ; en janvier 1997 c'est l'hendrixien Randy California, lead guitar des trop méconnus Spirit, qui fut emporté par une lame de fond au large de l'île hawaïenne de Molokai, non sans réussir à sauver son jeune fils ; le talentueux Jeff Buckley s'offrit un plongeon spontané - et tout habillé - dans les traîtres eaux du Mississippi qui l'engloutirent instantanément...
Peu d'assassinats, par ailleurs : outre celui de John Lennon, abattu comme on le sait par Mark Chapman le 8 décembre 1980 devant l'immeuble Dakota, seuls celui de Rusty Day, chanteur de Cactus abîmé après la séparation du groupe dans de périlleux deals de drogue à Orlando, Florida, qui tomba sous les balles d'un obscur truand local, celui du producteur et bassiste de Mountain, Felix Pappalardi, criblé de balles par sa copine le 17 avril 1983 et celui du guitariste prodige de Pantera, Dimebag Darrell, abattu en plein concert le 8 décembre 2004 par un déséquilibré au Alrosa Villa (Columbus), sont, sauf erreur, à porter au noir tableau des meurtres de rock stars...
Quant aux morts devenues douteusement mythiques, comme le célèbre "étouffement par ses propres vomissures" qui concerna l'infortuné brelan d'as Jimi Hendrix (le 18 Septembre 1970), Bon Scott, regretté chanteur d'AC/DC retrouvé sans vie le 19 février 1980 dans la voiture d'un pote après une ultime biture et, quelques mois plus tard, le 25 septembre 1980, John Bonham, batteur, doit-on préciser, de Led Zeppelin, qui enfila les vodkas orange - une quarantaine dit la légende - et mourut dans la nuit, dans la maison du guitariste Jimmy Page...
Ensuite, les overdoses, d'héroïne essentiellement, plus rarement de médicaments : en reste-t-il pour ignorer que Jim Morrison finit au fond d'une baignoire au 17 rue Beautreillis, le 3 juillet 1971 et Janis Joplin dans un hôtel hollywoodien le 4 octobre 1970 ? Le Blues Brother John Belushi fut, lui, retrouvé mort dans le bungalow 2 de l'infâme Chateau Marmont hotel ; le maître de la Les Paul incendiaire Mike Bloomfield, overdosé dans sa voiture ; Tommy Bolin, de Deep Purple, chez lui par sa compagne ; Keith Moon périt d'une surdose - involontaire - de médicaments à Curzon Place, dans Mayfair ; notre touchant folkeux Gram Parsons prit le fix de trop sans se douter de la délirante équipée qui s'ensuivrait ; Tim Buckley, au terme d'une engueulade avec son pote Richard Keeling, fit le bravache et quadrupla ses doses d'héroïne ; Hillel Slovak des Red Hot Chili Peppers fit pareil avec moins, comme Johnny Thunders des New York Dolls, Sid Vicious des Sex Pistols, Danny Whitten des Crazy Horse - dont Neil Young ne se remit jamais tout à fait de la mort - Pete Farndon des Pretenders, retrouvé mort dans sa baignoire, shooté de barbituriques, Steve Clark de Def Leppard victime d'une surdose accidentelle de médicaments et tellement d'autres...
Quant au King lui-même, disons que c'est une longue histoire, on la fera, promis... Et, sans mourir directement de surdoses, beaucoup connurent une fin sans aucun doute précipitée par des années de dope et d'excès, de Jerry Garcia à Paul Butterfield en passant par Paul Kossoff de Free, Gene Vincent, miné par cette terrible jambe, George Lowell de Little Feat, Phyl Lynott qui empila overdose non fatale, coma, pneumonie et crise cardiaque, John Panozzo de Styx, Jeffrey Lee Pierce de Gun Club, le (très) regretté Rory Gallagher, dont la greffe du foie échoua...
À la lecture de l'interminable liste de ces tentatives de suicides déguisées et répétées jusqu'à leur terrible succès, on ne s'étonnera pas de constater que, souvent, nos rockers choisissent aussi souvent de mettre fin à leur jour : dépressif, Nick Drake avala volontairement une surdose de médicaments - une version médicale officielle, contestée par ses proches, pour qui le geste fut accidentel ; chanteur torturé et sépulcral de Joy Division, Ian Curtis se pendit le 18 Mai 1980 ; arrêté pour conduite en état d'ivresse, le timide et suicidaire Roy Buchanan, explosif tortionnaire de Telecaster, choisit la cellule où il fut enfermé pour se pendre ; le chanteur contestataire Phil Ochs, alcoolique et dépressif depuis une tentative d'assassinat par strangulation lors d'une tournée africaine qui lui abîma irréversiblement la voix, se pendit chez sa sœur ; les restes de Philip Taylor Kramer de Iron Butterfly furent tardivement retrouvés dans sa voiture, au fond d'un ravin, on s'en souvient ; Kurt Cobain se tira une balle de fusil dans la bouche le 5 avril 1994, selon la thèse officielle tout du moins, on l'a vu itou ; Tom Evans de Badfinger choisit sa maison de Surrey pour mettre fin à ses jours - un an après, Pete Ham des mêmes Badfinger se suicida ; Alan Wilson chanteur fragile et harmoniciste virtuose de Canned Heat, fut retrouvé mort dans sa tente plantée dans le jardin de l'autre chanteur du groupe, Bob "The Bear" Hite, le 3 Septembre 1970 ; le sombre songwriter Elliott Smith s'infligea un coup de couteau fatal dans la poitrine ; Michael Hutchence Hutchence, des infâmes INXS, se pendit avec sa ceinture dans la chambre d'un hôtel Ritz-Carlton ; Richard Manuel, du Band, opta lui aussi pour la pendaison dans une chambre de motel ; Joe Meek, producteur génial et fêlé, connut une fin atroce, fusil dans la bouche, au terme d'une vie douloureuse racontée ailleurs ; le fantasque Screaming Lord Sutch, chanteur et politicien britannique baroque, se pendit ; la chanteuse des Plasmatics, Wendy O. Williams se tira un coup de fusil dans la tête ; père fondateur du British Blues Boom, au même titre que Alexis Korner et John Mayall, Graham Bond se jeta sous les roues d'une rame de métro londonienne en 1974 à la station Finsbury Park...
Et les maladies fatales ? Vaste sujet transversal, donc mentionnons seulement Ronnie Lane, bassiste des Faces, qui mourut d'une pneumonie consécutive à un affaiblissement général causé par une sclérose en plaques... Le SIDA, qui emporta le flamboyant Freddy Mercury le 24 Novembre 1991 ne semble pas avoir fait les ravages que la sexualité débridée de nos rockers laissait redouter : Klaus Nomi, sideman occasionnel de David Bowie, en fut toutefois une victime ; quant à Tom Fogerty, ex-guitariste rythmique de Creedence Clearwater Revival, il mourut lui aussi de la terrible maladie, suite à une transfusion sanguine pendant une opération du dos...
Et puis il y a les morts insolites, voire douloureusement ridicules, dont on a déjà parlé ici et là : Keith Relf, chanteur énervant des sublimes Yardbirds, fut électrocuté par sa guitare dans son bain le 14 mai 1976 - sa famille bataille depuis pour nier cette caractéristique claudefrançoisesque ; Steve Peregrine Took de T. Rex mourut, on l'a raconté, étouffé par un noyau de cerise ; Nico fit une hémorragie cérébrale fatale sur son vélo, sur une plage d'Ibiza le 18 juillet 1988, qui conclut piteusement une vie de junkie ; la chanteuse Sandy Denny, de Fairport Convention, qui ferrailla avec Robert Plant sur "The Battle Of Evermore" décéda des mêmes causes suite à une chute dans les escaliers ; Steve Marriott des Small Faces et Humble Pie fut brûlé vif par l'incendie qui se déclara nuitamment dans sa maison ; Jeff Porcaro inhala des émanations nocives d'un insecticide alors qu'il traitait son barbecue sans masque de protection (la thèse officielle faisant état d'une crise cardiaque consécutive à des années d'excès) ; le 23 janvier 1978, Terry Kath de Chicago joua avec un pistolet automatique qu'il croyait non chargé, le porta à sa tempe et appuya sur la détente pour rire - pas vraiment la roulette russe souvent décrite depuis mais un cadavre pentatonique à l'arrivée quand même...
Allez, on arrête là et, promis, on revient la semaine prochaine avec des filles et du rêve...