The Beatles: You Can't Do That
De retour avec nos immarcescibles Beatles et, cette semaine, leurs méconnues mésaventures discographiques américaines, avec Capitol pour ne pas les nommer... Une idole anglaise, en fait australienne, inconnue, une copulation vinylique, quatre titres cultes recherchés comme le Graal et le comique Martin Lewis, un collier de saucisses, des clous, des poupées et des blouses de bouchers, c'est parti...
Connaissez-vous Frank Ifield ? Cet illustre inconnu fut, sans coup férir et probablement sans être prévenu, choisi au début 1964 pour partager - littéralement - un disque avec les Fab Four... On parle ici d'une époque honteuse où les Beatles, pas encore présentés aux Américains, n'avaient la faveur que d'obscurs labels... C'est ainsi que le début de l'aventure ricaine des Quatre Fantastiques se fit non chez EMI, ni même la branche locale Capitol mais chez Vee-Jay, un label de Chicago qui par ailleurs ne déméritait pas - mais le deal en dit long sur l'estime commerciale dans laquelle les huiles de Capitol tenaient les liverpudliens avant février 1964...
Un fameux Ed Sullivan Show plus tard - quelque 73 millions de téléspectateurs tout de même... - une Beatlemania version yankee en route et, d'un coup d'un seul, la donne change... Chez EMI, l'heure n'est plus à la rigolade, il faut récupérer les deux ou trois titres laissés par inadvertance à comment s'appelle-t-il déjà, ce label de Chicago-là... David dressé comme il se doit contre son Goliath, Vee-Jay ne plie même pas, quant à rompre... Sauf qu'en regardant au fond de leur besace, les Chicagoans se trouvent un peu dépourvus : seulement quatre titres légalement exploitables - sans prix, certes ("Please Please Me", "Ask Me Why", "From Me to You", "Thank You Girl") mais avec ça on peut déjà faire un EP, à l'époque...
Inspiré, Vee-Jay décide d'en faire carrément un album, un vrai LP en somme, en ajoutant aux quatre titres des Beatles quelques-uns de notre Frank Ifield, un Australien déniché dans le catalogue maison et qui a un petit succès en la perfide Albion... Intitulé Jolly What!, anglicisme briton festif lourdement appuyé, et entaché d'un racoleur et hilarant "England's Greatest Recording Stars", l'album qui n'en était pas à une foutaise près, précisait, si l'on peut dire, que l'enregistrement était commun et, qui plus est, en public... Pour faire bonne mesure, il affichait fièrement une pochette fort laide, même à l'aune de la traumatisante esthétique sixties... En forme, Vee-jay se fendit même, peu de temps après, d'une seconde version, enfin dépouillée de son Frank Ifield... L'ironie fut que, acte violemment manqué, lapsus hénaurme, les notes de pochette concluaient avec un pontifiant "It is with a good deal of pride and pleasure that this copulation has been presented" - les lecteurs anglophones auront rectifié d'eux-mêmes, il s'agissait plutôt d'une compilation mais le mal était fait et Vee-Jay lâcha l'affaire dans un, hmm, soupir...
Si ces deux versions du disque affolent aujourd'hui encore les collectionneurs - à qui il en faut peu, par définition - les titres non officiels des Fab Four les ont longtemps jetés dans une quête douloureuse, rarement récompensée et parfois complètement fantasmatique... Tout ce qui est prises alternatives s'est longtemps dealé avec ferveur mais avec la parution des trois volumes de Anthology, on avait quand même fait le tour d'un groupe qui, notoirement, ne faisait pas trop dans le déchet de studio et dont toute la production semblait identifiée et publiée... Certains se rabattirent sur les reprises - "A Hard Day's Night" par Peter Sellers, "I Want To Hold Your Hand" par Al Green, "Got To Get You Into My Life" par Earth, Wind and Fire - ou, mieux encore, sur les titres écrits par Lennon/McCartney mais laissés à d'autres - "Love Of The Loved" à la fameuse Cilla Black, "Nobody I Know" à Peter And Gordon, "That Means A Lot" à P.J. Proby - mais le fin du fin, ça restait une poignée de quatre titres mythiques - de quoi former une belle copulation, en somme - "Colliding Circles", "Left Is Right (And Right Is Wrong)", "Pink Litmus Paper Shirt" and "Deck Chair"... Mentionnés depuis le début des seventies dans les argus, les fanzines, les magazines, ces titres rendaient fous les fans du groupe...
La mèche fut pourtant vendue rapidement : en 1971, le comique Martin Lewis qui gravitait autour du groupe et travailla notamment avec Derek Taylor avait pondu une discographie de disques pirates des Beatles pour un magazine audacieusement appelé Disc et avait inventé au pied-levé quatre titres complémentaires, histoire de faire mousser la chose... Vous la voyez venir, quelques indications un peu fumeuses en supplément - deux titres dûs à Lennon, un à Macca, un dernier à Harrison - sur les sessions et le canon des Beatles d'être enrichi de quatre morceaux inédits... Comme de bien entendu, comme dans le cas de la fausse mort de Paulo, le mythe se mit en marche aussi sec et tous aux abris... Lewis eut beau faire lui-même mea maxima culpa en rigolant, certains fans persistent à y croire dur comme fer, toujours ce vieux précepte fordien en somme...
Allez, on ne peut pas ne pas la mentionner, on sent que vous allez la réclamer : et la célèbre couverture dite "des bouchers", celle de la compilation américaine Yesterday And Today ? Là, les Fab Four ont fait fort et la pochette tranche, si l'on peut dire, avec leur image gentiment lisse qui ne devait berner que les Américains d'ailleurs : les quatre de Liverpool en tablier de boucher, morceaux de viandes épars et de bien curieux morceaux de poupée portant des marques de brûlures de cigarettes... Le concept se voulait une réponse des Beatles à Capitol, encore eux, qui "charcutaient", comme on dit plutôt par chez nous, leurs albums (dont les versions américaines, les seules remasterisées au passage, sont différentes, souvent amendées d'ailleurs, de celles que nous connaissons, nous autres vernis Européens)...
Bon, en fait, la photo avait été faite bien avant, à la faveur de sessions très conceptuelles justement où, entre autres clichés, on captura sur Kodak un femme et son collier de saucisse figurant un cordon ombilical, George qui joue à planter des clous au marteau sur la tête de John, John encadrant (littéralement) Ringo avec le nombre "2,000,000" pour toute légende... En tout état de cause, la photo bouchère en question fut incluse sur la pochette de la compil' en dépit du bon sens, sans que les Beatles qui s'en cognaient, n'en sachent rien d'ailleurs.. Devant les réactions horrifiées, la dite pochette fut d'ailleurs promptement remplacée et on ne sut jamais qui avait vraiment présidé à ce singulier choix...