The Damned: Machine Gun Etiquette
Vous reprendrez bien un peu de punk ? On se déchire encore sur les vrais précurseurs du genre, des garage bands ricains à l'Iguane et ses Stooges en passant par certains glam-rockers à tendance hardisante, les Ramones voire, pourquoi pas, les Sex Pistols - une chose est sûre, pourtant, les Damned font partie de la légende du genre, et pas seulement parce qu'ils furent les premiers punks british à enregistrer un single, le fameux "New Rose", et un album tant qu'on y est... Quand début 1976, Dave Vanian (chant), Captain Sensible (basse) et Rat Scabies (batterie) - des noms de scène faut-il le préciser - débauchent le gratteux Brian James du groupe London SS (malheureux sigle de "Social Security"...) où frayèrent le futur Clash Mick Jones et le bassiste Tony James qu'on retrouvera dans Generation X et Sigue Sigue Sputnik, l'histoire se met en marche, a-t-on envie de dire... Un premier concert mythique le 6 juillet 1976 au 100 Club à Londres (tiens, avec les Sex Pistols) et une apparition tout aussi fameuse au premier festival punk européen de Mont-de-Marsan, le 21 août 1976 et c'est parti pour une aventure aux nombreux rebondissements, dans la grande tradition punk... En vrac, en ces colonnes : le fantôme de Syd Barrett, un œil qui saute, Bonham rabroué, la quête des Monty Python, la bourgade occitane de Rennes-le-Château, l'étrange curé Bérenger Saunière, et deux cœurs d'animaux sur le pas de la porte...
Les débuts du groupe, passés à la postérité rock n' rollesque, c'est un album Damned Damned Damned au son gentiment pourri, dont les 2000 premières copies furent, dit-on, habilement décorées de la photo d'un autre groupe, histoire de bricoler un vrai-faux collector... Rusés, les punkeux, non ? Captain Sensible, effectivement facilement froissable (faux ami anglais ignoré...), rigola toutefois moins quand il remarqua que sur la pochette définitive, c'était quand même lui dont le visage était le plus généreusement recouvert de crème et que du coup, pour se faire arrêter par les fans ou les potes dans la rue, ça allait être un peu plus difficile...
En tout était de cause, dès le deuxième album, ça part déjà en sucette grâce à une improbable initiative du groupe qui se prit à vouloir débaucher rien moins que Syd Barrett pour produire son nouvel opus... Le diamant fou, ex-leader de Pink Floyd abîmé dans des illuminations souterraines en banlieue anglaise, était, on le sait, déjà aux abonnés absents et pas franchement dispo pour revenir en studio... Jamais en retard d'une connerie, nos Damned eurent l'idée de se rabattre, avec une logique contestable sur... Nick Mason, batteur de Pink Floyd, producteur à ses heures, pas mauvais d'ailleurs mais pas franchement d'obédience punk non plus (Rock Bottom de Robert Wyatt, Shamal de Gong puis Green de Steve Hillage, ce genre)... Le résultat ? Désastreux bien sûr, même si Brian prend encore des pincettes pour le dire, "Nick Mason, we learned after a couple of days, wasn't really the man for us at all. He just did not know the band, didn't understand the energy we had before"... Après, les errances du groupe ont tendance à prendre de l'ampleur et la traditionnelle valse des musiciens de commencer...
Entre-temps, nos gars avaient acquis une sale petite réputation, même à l'aune du punk - renommée vicieuse d'ailleurs usurpée, en tout cas selon les membres du groupe qui, sans se prétendre tout blancs, ont à cœur, aujourd'hui encore, de rappeler leurs qualités de gentlemen d'Albion... Comme souvent, le malentendu partit d'un article de presse bien bourgeois qui, exploitant un malheureux accident - un des fans du groupe reçut un verre dans l'œil pendant un concert et en perdit l'usage - fit des Damned des morveux violents et irrécupérables... Plus tard, John Lydon des Sex Pistols vendit la mèche, c'est Sid Vicious qui était responsable de la chose... Brian James, lui, n'en démord pas, le groupe dispensait des shows bon enfant : "That's chaos for the wrong reasons. Our gigs were like kindergarten chaos. It was lovely"...
Bon, de là à dire que les Damned étaient des enfants de chœur... Des conneries , il y en eut, naturellement... Sur scène, les Damned, contre toute attente, en appelaient au théâtre, avec des prestations évoquant Alice Cooper ou Screaming Lord Sutch : Dave, gothique en diable, se retranchait dans le rôle d'un Bela Lugosi punk, Captain Sensible se travestissait en nana ou se mettait complètement à poil et Rat mettait régulièrement le feu à sa batterie... Les affinités pyromanes de ce dernier sont avérées puisque le gars fut même arrêté pour avoir foutu le feu à un hôtel et échappa, on ne sait pas vraiment comment, à trois mois d'emprisonnement... Ce penchant mais aussi une flamboyance de jeu pas vraiment punk lui valut d'ailleurs d'être comparé à l'illustre Moon lui-même... Mais quand un autre batteur mythique, John Bonham, cogneur au grand cœur qui dans ses mauvais trips pouvait être la pire des ordures, monta sur la scène du Roxy de Londres pendant un concert de nos jeunes Damned, on craignit le pire... Bien cramé, Bonham insulta Rat Scabies en le défiant de faire un solo en public mais, à sa grande surprise, fut accueilli par les huées du public punk qui fit sortir le drummer dinosauresque de la salle...
Les tournées, elles, sont tumultueuses à souhait et, au début des années 80, après avoir débauché Paul Gray de Eddie and The Hot Rods au poste de nouveau bassiste, The Damned se lance à l'assaut de l'Europe avec la finesse des Stranglers... On est pas loin de l'émeute itinérante, le groupe jouant avec les frontières pour ne pas se faire coincer rapport aux casseroles qu'il traînait, incendiant, au passage et pour la forme, quelques bus (une marotte, on vous dit - une idée du responsable ?)... À trop jouer avec euh le feu, nos intrépides punks londoniens se sont même retrouvés avec la mafia au cul... Doit-on d'ailleurs établir un rapprochement entre ces soucis mafieux et les deux cœurs d'animaux retrouvés un matin par Scabies sur le pas de sa porte ? Commentaire prudent de l'intéressé : "I'm not sure whether it was advice or a warning but I think it was one of the two"... Quant à Paul Gray, mentionnons qu'il en appela tout de même sa copine en Angleterre pour rédiger son testament par téléphone... Pleine bourre, le groupe s'envola ensuite comme il se doit pour l'Amérique, pour une tournée désastreuse et ruineuse, avec arnarques du management à la clé... Captain Sensible connaissant un succès inattendu en solo avec sa reprise, en 1982, de "Happy Talk", l'affaire était pliée et la gloire de The Damned se figea dans le passé, emballé, c'est pesé...
L'après-Damned, ce fut pour Rat Scabies une reconversion mystique, le batteur fou se prenant de passion pour la riante cité occitane de... Rennes-le-Château. Oui, c'est comme ça, nous demandez pas. Il explique sa lubie : "When I was in the band I didn't bother with Rennes-le-Château much, not until we reached a point where our touring required long drives and I needed something to read. As I don't believe in God and don't have any kind of religious faith, Rennes-le-Château became the nearest thing to spirituality that I had. 1984 was first time I went to the church in Rennes-le-Château, and let me tell you it was a very, very strange place back then. The locals weren't friendly. It had very few tourists, and because the band were there in leather jackets and had long hair and looked quite gothic, they didn't want us in any of the restaurants and stuff"...
Rennes-le-Château, ses 112 habitants, son curé Bérenger Saunière, sa légende surtout... Saunière, dépositaire d'un terrible secret, aurait découvert, à la fin du XIXe siècle, un fabuleux trésor aux relents sulfureux... Ésotérisme de pacotille ou vraies relations occultes, Saunière disposait en tout cas d'une réserve financière infinie qui lui valut les inimitiés des habitants et jette aujourd'hui encore les spécialistes dans un doute abyssal... Et c'est à notre batteur londonien que revient d'avoir relancé l'affaire avec un bouquin, disponible partout pour ceux que ça intéresse (Rat Scabies and the Holy Grail), écrit par son pote Christopher Dawes, un ex-journaliste de Melody Maker qui l'a accompagné dans son enquête, et présenté en ces termes : "Can a punk rock legend find what Monty Python couldn't?"...
Vous l'avez compris, sur tout ça, c'est bien l'ombre du Graal qui plane... En tout cas, c'est ce qui occupe essentiellement Rat Scabies aujourd'hui, lui qui à la question "What's more likely, a true discovery in Rennes-le-Château or a Damned reunion gig?", répondit sans hésitation "A true discovery in Rennes-le-Château"... Bonne ou mauvaise nouvelle, The Dammed, c'est en effet bel et bien fini selon le drummer : "The Dammed had its chance to reform and re-invent itself. The plain and simple truth is you're dealing with musicians. I'm a drummer. There's a very big difference. I don't play music - I keep time and have nothing to do with melodies, harmonies, or notes. Scales are not my domain. Sadly, people who have to deal with those things tend not to be very bright"... Aucun regret pour Rat : "It was thirty years ago and it was disposable pop. I for one can't understand this kind of clinging onto the past and former glories"... Et, si jamais il y avait un doute sur ses motivations actuelles, quand on lui demande "In 50 years time what will be your legacy - heading up the first Punk band in history or being the hero of a great book about Rennes-le-Château?", le batteur pyromane soupire : "Personally I'd like it to be the book, but sadly it'll be that bloke who set fire to his drums"...