The Kingsmen: Louie Louie
On s'est déjà attaqué à du lourd, comme le satanique "Hotel California" de qui-vous-savez ou le trop sous-estimé "Who Are You" de allez-vous-savez-bien-aussi, mais c'est à l'ascension d'un monument qu'on se propose de se coller en cette trêve des confiseurs : l'entêtant et incontournable "Louie Louie" des Kingsmen... Non pas qu'on soit en présence d'un chef-d'œuvre du rock, mind you... Mais quand un titre, repris par Frank Zappa, Iggy Pop, Robert Plant, le Clash, les Beach Boys, les Sonics, les Troggs, Otis Redding, Motörhead, le MC5, David Bowie, les Ventures, Black Flag, le Grateful Dead, les Sisters Of Mercy, Patti Smith, les Flamin' Groovies et tant d'autres, régulièrement célébré depuis plus de cinquante ans par des marathons radios ou guitaristiques, se voit accusé d'abriter des propos pornographiques dévoyeurs de la saine jeunesse américaine et qu'on dépêche même le FBI pour enquêter, on lâche la dinde et la bûche glacée, et on vous raconte toutes affaires cessantes...
Le fameux morceau, que tout le monde a en tête, remonte à 1956 l'air de rien et est dû à la plume de Richard Berry (nan, pas celui-là, un autre) dont cela reste grosso modo le principal titre de gloire... On a pu y entendre l'influence du titre "El Loco Cha Cha" de Rene Touzet, du "One For My Baby (And One More For The Road)" de Harold Arlen et Johnny Mercersand et surtout du 'Havana Moon' de Chuck Berry... Avec son groupe The Pharaohs, davantage versé dans le rhythm-and-blues que dans le rock au passage si tant est que la différence soit pertinente à cette date, il connaît un petit succès mais la grande affaire de ce "Louie Louie", à l'évidence, ce sont les reprises...
Celles-ci ne tardent pas, du reste, mais il faut attendre 1963 pour que, quasi-simultanément, deux versions en soient à nouveau enregistrées par deux formations de Portland, Oregon, les Kingsmen tout d'abord, suivis, dans le même studio et le lendemain même dit-on, par Paul Revere And The Raiders... Si les deux groupes se sont tirés la bourre un temps à la sortie de leur single commun, inutile de préciser que c'est à l'avantage du premier que les choses vont vite tourner, avec l'appui involontaire d'ailleurs d'un DJ moqueur de Boston, Arnie Ginsburg, qui lui décerna le titre de "plus mauvaise chanson de la semaine"...
Les ennuis pointèrent le bout de leur nez rapidement et, dans un mouvement d'hystérie collective moyenâgeuse auquel les Américains, bientôt occupés à brûler les disques des Beatles, nous ont habitués, un bruit qui se fit rumeur nationale courut bientôt : "Louie Louie" était une chanson pornographique... Le titre prêtait certes le, euh, flanc à ce genre d'offensive bien(?)-pensante : enregistré dans des conditions sommaires dans un anglais plus jamaïcain que londonien, il composait une bouillie sonore dans laquelle quelques paroles surnageaient, rarement les mêmes selon les auditeurs... On a avancé qu'un micro, en tout et pour tout, pendait au-dessus de la salle pendant l'enregistrement - comme pour le Got Live If You Want It des Stones pour donner un repère sonore - et qu'outre la médiocrité du son, il obligeait Jack Ely, le chanteur (batteur d'ordinaire, d'ailleurs) à pencher sa tête vers l'arrière d'où ces fameux borborygmes... On a aussi dit qu'Ely portait un appareil dentaire, était enrhumé, avait participé à un marathon de 24h de reprises de "Louie, Louie", justement, et que le tout était une première prise pour se chauffer...
Bref, on entend pas grand-chose... Enfin, des bribes comme "Louie, Louie, oh no me gotta go", "Fine little girl waits for me" et "Catch a ship across the sea" qui font conclure que tout ça doit quand même tourner autour d'un mec qui parle de sa nana... Naturellement, les censeurs alertés ne s'en tinrent pas là - ni même les fans hardcore du titre qui glanèrent des fantasmatiques "I fuck you girl" là où traînait un indistinct "I think of girl", "Hey lovemaker, now hold my thing" pour l'officiel "See Jamaica, the moon above" et autres détournements ados gloussants...
L'affaire fut cependant jugée si, euh, sérieuse qu'une enquête fut ouverte par le FBI qui, à son habitude, fit tant de zèle - lançant notamment une chasse à l'homme bon enfant pour retrouver Berry et omettant curieusement Jack Ely - que celle-ci dura près de trois ans, avant de se stabiliser sur un échec total, de ceux qui font la renommée de l'institution... Pour les intéressés dont Ely lui-même, rien d'obscène pourtant, juste un enregistrement pourri et un soupçon de lancement marketing savamment orchestré... Écouté en 33T au ralenti ou en 45T en accéléré, le titre, identique par ailleurs en version single ou album malgré une autre rumeur, ne révéla aucun de ses mystères supposés, mais vit en effet ses ventes décupler... Deux ans plus tard, probablement désireux de faire enfin éclater la vérité, le jeune James Osterberg en donnait déjà sa version, passablement crûe, sur les scènes cradingues de Detroit, et lui jura fidélité pour les cinq décennies suivantes...