The Tubes: Attack Of The Fifty-Foot Woman
Connaissez-vous The Tubes ? L'histoire tourmentée de nos lascars de la semaine, peu goûtés en France, se regarde voire s'écrit peut-être plus qu'elle ne s'écoute mais la bande à Fee Waybill réserve quand même encore de bons moments aux amateurs de rock parodique, son espèce de pop zappaïenne, indubitablement plus savoureuse sur scène que sur disque, souffrant d'un manque de reconnaissance tout à fait injustifié... On part donc, en cette rentrée, à la découverte de ce combo ricain nécessairement culte dont le leader, plus de vingt ans après, écraserait volontiers, on le verra, le rock wizard autoproclamé Todd Rundgren pour notre plus grand plaisir d'ailleurs...
The Tubes, en deux mots un peu rapides, c'est du Zappa, du Beefheart - qui jouera d'ailleurs du saxophone sur "Cathy's Clone" et dont le groupe reprendra "My Head Is My Only House Unless It Rains" - et un peu de Beatles par-dessus ; et une carrière particulièrement heureuse pendant la seconde moitié des seventies où l'Amérique se plut quelques courtes années à assister en masse aux mémorables concerts du groupe, à la croisée du happening - acrobates, geishas passablement dévêtues, danseurs de claquettes, chorégraphie ciselée - et du rock satirique à la Zappa dont, on l'a compris, l'ombre plane sur le groupe, le tout dans une ambiance vaguement Rocky Horror Picture Show...
Formé à Phoenix (dans l'Arizona, gagné !), comme le Alice Cooper Band dont nos gus partagent le goût des travestissements et du rock vitriol, le groupe est constitué d'une bande de potes qui fusionnent leurs petites formations - The Red, White and Blues Band et The Beans, pour ne garder que les dernières appellations, après d'improbables "The Mouth" et "Radar Men from Uranus" - et s'exilent bientôt à Frisco...
Les gars se font connaître en 1975 avec un premier album, souvent jugé le meilleur, produit par Al Kooper sur lequel ils se paient le luxe de connaître un premier - petit - succès en se payant la tronche de leurs propres fans, issus de la bourgeoisie de Frisco, avec le titre "White Punks On Dope" :
Other dudes are living in the ghetto
But born in Pacific Heights don't seem much betto
We're white punks on dope
Mom & Dad live in Hollywood
Hang myself when I get enough rope
I can't clean up, though I know I should
White punks on dope
Beau début, non ? Le titre sera même repris par Nina Hagen, qui en changera les paroles dans son "TV-Glotzer", et quelques années plus tard par Mötley Crüe, oui...
Quelques albums, souvent conceptuels et plutôt bons suivent (Young And Rich ; Now) mais c'est définitivement sur scène que le groupe donne le meilleur, ouvrant pour Led Zeppelin, les New York Dolls, Iggy Pop ou Bowie (pendant rien moins que le "Serious Moonlight Tour" de 1983) et partageant avec Zappa et Peter Gabriel la tête d'affiche du festival de Knebworth en 1978 : dans une chorégraphie carnavalesque réglée au millimètre, sans aucune improvisation, replète de gros seins gigotants et au son d'une pop pêchue ou d'un "Crime Medley" mêlant sons de sirènes et reprises ultra-courtes des thèmes de Dragnet, Peter Gunn, Perry Mason et des Untouchables, entre deux clins d'œil à Grease ou au Saturday Night Fever, la troupe attaque frontalement les médias, la politique et une certaine contre-culture dans des titres grinçants et hilarants, menés par un Fee Waybill déchaîné...
Maître de cérémonie, entre Zappa et Cooper, celui-ci endosse d'improbables rôles comme celui de Quay Lewd, une pop-star British tournée clodo bourré (le jeu de mots est plutôt pharmaceutique, au cas où), du fameux Dr Strangekiss, un nazi éclopé, ou du chanteur country Hugh Heifer (hmmm)... Sur l'influence de Cooper, Fee reste d'ailleurs formel : "We always thought Alice was sending spies out to steal our bits. We thought that our visuals were a lot more sophisticated. We had dancing and he had giants spiders and giant tubes of toothpaste. We thought he was kind of hokey. It is interesting that we are the only two bands known for theatrics at the time and we were both from Phoenix. Alice was two or three years ahead of us. We were not that close as friends. We never collaborated together. I did play at his charity golf tournament and I played his charity Christmas show. Alice is a kind of a Christian, right wing kind of guy, which is kind of strange. He does a radio show and he is very pro Bush. It is strange to think that this is Alice Cooper we are talking about à the guy with the snake around his neck. We never felt threatened by him. We thought we had a more unique kind of show. We had a lot of stuff going on and he would just kind of stand there with his top hat and eye makeup and the big spiders would crawl around..."
En tournée dans l'Amérikke, le groupe ne rencontre pas que des fans, en particulier dans la Bible Belt où ils doivent contractuellement s'engager à ne montrer aucune nudité ni laisser entendre aucun juron pendant leur concert sous peine d'une grosse amende... À Washington, c'est un cortège de lesbiennes qui organise une manifestation contre le groupe et son exploitation éhontée de la femme... Dans le Michigan, une fan à gros seins monte sur scène pendant "White Punks On Dope" dans un costume de lapine estampillé Playboy... avant de se faire descendre de scène par l'oreille par sa mère... Agée de quinze ans, elle offrit ainsi à la police du coin l'occasion de fourguer à Fee une accusation ahurissante du genre sexe avec mineur non consentante...
Un peu de cette ambiance déjantée se retrouve sur leur notoire live What Do You Want From Live?, enregistré au Hammersmith Odeon, à Londres où les fans du groupe étaient nombreux, mais la magie de l'ensemble, très visuelle, passe difficilement les seules enceintes... Pourtant on dit que c'est pendant ce concert que, à fond dans un des ses rôles, Fee Waybill se cassa une jambe sur scène, autre influence de Zappa, à n'en pas douter... Le reste de la tournée fut annulé et le groupe vit s'envoler avec ses maigres espoirs de percer... Sans compter, si l'on peut dire, que tout ce cirque avait un coût et que les shows du groupe, précurseurs notamment par leur aspect vidéo, se révélèrent rapidement, on s'en doute, des gouffres financiers...
Un sursaut pourtant en 1981, avec l'album Completion Backwards Principle - le préféré de Waybill - et ses titres "Talk to You Later" and "Don't Want To Wait Anymore" puis deux ans plus tard avec "She's A Beauty" (sur Outside Inside) grâce auxquels les Tubes squattèrent un moment les charts américians, notamment grâce à l'intervention guitaristique musclée de Steve Lukather, dépêché auprès du groupe par Waybill... Une contribution d'ailleurs difficilement acceptable pour le reste du groupe, pas vraiment fan de Toto, on l'imagine bien...
En 1985, le médiocre Love Bomb - la "honte" de Waybill, selon l'intéressé - scella le sort d'un groupe par ailleurs irréversiblement enfoncé dans la schnouffe et endetté jusqu'au cou... La suite est sordide à souhait, Waybill seul désintoxiqué à bord s'éjectant d'un groupe qui ose continuer sans lui, puis se reforme, ses lames considérablement émoussées dans une Amérique néo-conne à souhait... ; dégoûté, Waybill se commet dans divers projets solo - quand il ne s'adonne pas à sa passion, le polo... - et écrit même un titre, "Edge of a Broken Heart", pour Vixen (mais si, ce groupe de nanas, là, un effort...)... Un brin amer, il avoue n'avoir pas réussi à sauver un groupe dont il avait admiré tous les membres : "We had been together fifteen years; it was hard. I grew up in Arizona and they were my idols. They were all in bands; I wasn't in a band. The Tubes are the only band I have ever been in. I was Roger Steen's roadie. We moved to San Francisco in 1969 because Prairie Prince got a scholarship to the Art Institute and I was a grunt. I was hauling the gear, driving the truck and cooking dinner. Bill's bass player quit and we kind of joined with his band. He already had four roadies so I got to become a background singer. Slowly and slowly and little by little I got to sing one song and then I got to sing two songs and eventually I became the lead singer. I wanted to make it work. I just tried and tried and tried..."
Et Todd Rundgren, dans tout ça ? Une première collaboration en 1979 sur Remote Control, un album concept à la fameuse pochette, qui se cogne la télévision comme bête noire, dans la lignée du "I'm the slime" zappaïen, d'ailleurs, et que Rundgren produit sans trop de dégâts... Mais c'est sur Love Bomb en 1985 que les choses se gâtent - l'album est une daube sans nom produit par Rundgren, donc, qui, pro jusqu'au bout, en profite pour se marier avec une des danseuses du groupe, Michelle Gray... Fee, lui, ne décolère pas : "We lost a fortune because the record sucked and Todd sucked. The rest of the band wanted to take drugs. They went and did a record with Todd who sat there and took drugs with them and the record sucked. I was not there for the entire record. I showed up and sang three songs and left. I left the band because of that record. I saw Rundgren mix a song in fucking twenty minutes. I couldn't believe it. I was in the studio and Todd was getting ready to mix "Stella." He fucked with the EQ for about five minutes and then said, "Okay, run it." An engineer, Todd and I were the only ones in the studio. I am writing notes like crazy that say, "Bring up the backing vocals in this part" and "Bring down the guitar in the chorus." That is what you normally do when you mix. We get to the end of the first pass and I relay all the notes I have taken to Todd and he goes, "No, this is it. It sounds great." I said, "You did one pass?" He said, "It is a feeling thing. It is just fine." I was stunned. It was a one pass mix; that was it. I said, "I'm done. I'm fucking out of here. I will never work with you again as long as I live..."... Voilà pour le wizard Rundgren dont on trouvera bien quelques lecteurs pour tenter de nous convaincre du génie...